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C'était de Gaulle, tome 3

C'était de Gaulle, tome 3

Titel: C'était de Gaulle, tome 3
Autoren: Alain Peyrefitte
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dans les trente années qui ont suivi la Seconde Guerre. Dans cet établissement qu'un de ses directeurs de l'entre-deux-guerres avait appelé « une maison de tolérance », le parti communiste occupait alors la position dominante ; il donnait le ton, qui n'était certes pas celui de la tolérance. De Gennes nous raconte que, le jour de la mort de Staline, ses nombreux adeptes à l'École affichaient des visages consternés. L'un d'eux avança cette consolation : « Nous n'avons pas tout perdu, il nous reste son oeuvre écrite. » Quarante ans après, conclut-il, on n'oublie pas ces leçons-là.
    Comment tant de jeunes esprits libres se sont-ils livrés à la servitude volontaire du stalinisme ? Comment, en particulier, ont-ils pu outrager l'homme qui, chez tant de leurs anciens, avait entretenu pendant la guerre la flamme de la Résistance ? J'en viens à raconter l'incident du bal de l'École de février 1959, où le général de Gaulle se vit refuser la main qu'il tendait aux jeunes élèves en smoking.Le hasard m'avait fait témoin oculaire de cette rébellion passive mais déterminée. Pour moi, cet outrage était un « coup monté ». L'expression fait bondir Guyon : « Un coup monté ? Pas du tout ! J'étais de ces promotions, je l'aurais su ! Non, c'était un geste purement individuel, spontané, inopiné. Il n'y a eu rien de collectif, rien de prémédité. »
    A un démenti présenté avec tant de vivacité et d'autorité, je n'ai pas de preuve à opposer. Après tout, j'ai pu me tromper. Je reste sans voix.

    Sur le champ de bataille de Villeroy, 5 septembre 1994.
    Quelques mois plus tard, le 5 septembre 1994, c'est le quatre-vingtième anniversaire de la mort de Charles Péguy. Il mérite que la France lui rende hommage : il nous élève au-dessus de nous-mêmes — à la fois dreyfusard, antidreyfusiste, chrétien, socialiste, patriote, il réconcilie en lui-même des convictions si souvent opposées par notre histoire.
    Sur un champ moissonné de la Brie champenoise, à Villeroy, nous sommes un petit groupe à attendre les ministres, Léotard, de la Défense, et Bayrou, de l'Éducation. L'École est représentée par Étienne Guyon, son directeur, et Jacques Lautman, directeur adjoint. Nous arpentons tous trois le champ où notre grand ancien a été frappé d'une balle au front, en entraînant sa section à l'assaut. Dans cet été 14, quelques centimètres de trajectoire à droite ou à gauche, et le lieutenant Péguy vivait, le lieutenant de Gaulle mourait sur le pont de Dinant, inconnu à jamais. De Gaulle m'a dit ce qu'il devait à Péguy 2 , le seul maître d'esprit qu'il ait jamais reconnu. L'École aussi se reconnaît dans le génie multiple et généreux de Péguy.
    En devisant, nous revenons sur l'incident dont l'interprétation m'a opposé à Guyon. Comment expliquer qu'en 1959, l'école de Péguy ait pu insulter le fils spirituel de Péguy, que l'école de Jean Çavaillès et d'Albert Lautman 3 ait pu insulter le héros de 1940 ? Étienne Guyon maintient : « L'École n'a rien à voir avec cet incident. Ça a été l'acte d'un isolé. »
    La conversation détendue m'apprend bientôt que Guyon et Lautman ont connu à l'École l'auteur du « coup ». Mais ni l'un ni l'autre ne va jusqu'à me dire son nom. Ils invoquent un secret qui ne leur appartient pas.
    J'ai quand même l'impression d'avancer. Un ancien élève existe bien, fait de chair et d'os, qui s'était mis les mains dans le dos pour ne pas serrer celle que le général de Gaulle lui tendait. J'aimeraisen avoir le coeur net, savoir s'il y a eu ou non « coup monté ». Il faut que je le rencontre, pour essayer de comprendre. Peut-être l'intéressé accepterait-il de délier ses camarades d'un secret si longtemps gardé ?

    « Que vous êtes jeunes, que vous êtes nombreux, que vous êtes aimables ! »
    Un ami commun a bien voulu poser la question au camarade inconnu. Celui-ci a fini par accepter de sortir de l'anonymat pour moi. Le rencontrer n'est pas allé sans nouveau mystère. Plusieurs fois, un déjeuner à trois a été convenu, reporté, décommandé.
    La rencontre a finalement lieu, encore quatre ans plus tard, le 11 décembre 1998, dans un appartement louis-philippard du Quartier latin. L'inconnu m'a devancé. Il me dévoile son identité. C'est un physicien des hautes énergies de la promotion 1958, professeur d'université, discret, doux, charmant.
    La maîtresse de maison se joint à nous. Elle aussi découvre
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