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C'était de Gaulle, tome 3

C'était de Gaulle, tome 3

Titel: C'était de Gaulle, tome 3
Autoren: Alain Peyrefitte
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l'inconnu. Pourtant, elle était au fameux bal, au bras de son futur mari ; et bien qu'elle ait souvent parlé de l'affaire avec lui, il lui en avait gardé le secret jusqu'à ce jour.
    AP (à l'inconnu) : « Je suis heureux de vous serrer la main, et encore plus heureux de voir que vous ne refusez pas la mienne. (Rires : l'atmosphère se détend.) Ainsi, vous êtes le héros d'un acte de rébellion, d'une sorte d'insurrection à froid, alors que vous avez l'air le plus cordial du monde. Qu'est-ce qui vous a amené à ce geste ? Qu'en attendiez-vous ?
    L'inconnu. — En ce temps-là, d'une part j'étais communiste — j'ai cessé de l'être après 68 ; d'autre part, j'étais mal informé, comme mes camarades. Nous pensions que de Gaulle était un général factieux. Il avait pris le pouvoir par le putsch militaire du 13 mai. Il était l'instrument de l'armée, qui voulait écraser l'insurrection algérienne en imposant l'Algérie française. Il nous conduisait tout droit au fascisme.
    « Nous avions soigneusement préparé cet incident à l'avance. Nous nous sommes réunis à une cinquantaine : une trentaine de communistes — toute la cellule de l'École — plus une vingtaine de trotskistes et de PSA 4 . Nous étions tous d'accord sur le but : il ne fallait pas qu'on puisse dire que ce général de pronunciamiento avait été bien reçu à l'École et que l'Université se réconciliait avec lui. Nous avons décidé de former un cordon sanitaire, pour lui barrer la route au bas de l'escalier du gymnase, quand il le descendraitpour aller prendre un bain de foule avec les danseurs. Nous avons répété la scène sur les lieux plusieurs jours à l'avance. Le soir du bal, de Gaulle s'est écrié, au balcon du gymnase : "Que vous êtes jeunes, que vous êtes nombreux, que vous êtes aimables ! "
    AP. — Et il a été alors très applaudi, bien que cette phrase à la Mac-Mahon ne le méritât pas vraiment.

    « Monsieur, je voudrais vous serrer la main »
    L'inconnu. — Il a descendu l'escalier et il s'est heurté au mur que nous formions, bien serrés les uns contre les autres, nos mains agrippées derrière le dos. Il m'a tendu la main en premier. Je ne l'ai pas prise. Il m'a dit : "Monsieur, je voudrais vous serrer la main." Je n'avais rien préparé, évidemment. Je n'avais pas imaginé que j'allais être choisi par lui. J'ai bafouillé : "Je ne serre pas la main d'une politique ", ou "de votre politique", je ne sais plus.
    « Il a tendu alors la main à mon voisin, qui, lui aussi, a gardé les mains derrière le dos ; je crois à un troisième, qui a fait de même. Le Général a dit alors : "J'ai compris." Et il est reparti par l'autre escalier, sans se mêler aux danseurs. C'est justement ce que nous avions voulu.
    AP. — Dans l'heure qui a suivi, j'ai parlé avec des élèves qui m'avaient paru dans le coup. Étiez-vous parmi eux ?
    L'inconnu. — Non, je suis parti tout de suite. J'étais tellement bouleversé de ce qui venait de se passer, que je n'ai pas voulu rester une minute de plus sur place.
    AP. — J'ai demandé à l'un : "Êtes-vous communiste ? " et il m'a répondu : " Ça n'a rien à voir." Il devait l'être. J'ai dit à un autre : "Vous savez que l'École a reçu courtoisement tous les Présidents de la III e et de la IV e ?" Il m'a répondu que c'étaient des potiches. Un autre m'a dit : " L'École a résisté à Napoléon I er , à Napoléon III, à Pétain ; elle résistera au Général-Président."
    L'inconnu. — Oui, c'est ce que nous pensions. C'était une erreur de jugement. Je la regrette. J'ai compris depuis lors que de Gaulle n'était pas un général putschiste. Mais par rapport aux sentiments qui étaient les miens, j'ai fait ce qui me paraissait mon devoir. D'ailleurs, dans les années suivantes, mon antigaullisme n'a pas baissé. J'étais engagé à fond dans le mouvement pour la libération de l'Algérie. Nous avions l'impression que de Gaulle amusait la galerie, mais qu'il ne voulait pas donner l'indépendance au FLN, et qu'il ne le ferait que si nous l'y forcions. J'étais à Charonne, j'ai vu des CRS se précipiter sur les manifestants et abattre leurs matraques, j'ai vu le sang couler. C'est seulement plus tard, après le retrait du Général, que j'ai regretté de l'avoir offensé. J'ai pensé le lui écrire, mais il est mort avant que j'aie rédigé ma lettre.
    La maîtresse de maison. — Vous savez, ce que pensait notre invité, nous étions nombreux à le penser, même si
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