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C'était de Gaulle, tome 3

C'était de Gaulle, tome 3

Titel: C'était de Gaulle, tome 3
Autoren: Alain Peyrefitte
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paradoxe. En février 59, quand de Gaulle arrive dans la salle de bal, il est acclamé ; après l'incident, la salle se fige. En avril 68, tout était calme ; les chefs syndicalistes n'envisageaient aucune action avant la rentrée d'octobre. Et soudain, une contagion se répand : des millions de travailleurs se sont mis en grève.
    « La thèse classique, c'est qu'il y avait sous la surface un formidable rejet de tout : du régime, du Général, du gouvernement, de l'autorité, du capitalisme, de la famille, des bonnes moeurs, de la société. Mais comment les experts en revendication ont-ils pu ne pas sentir cette force révolutionnaire, si vraiment elle existait ? Comment ce qui était imprévu et imprévisible était-il inévitable comme une fatalité ? Et si cette force révolutionnaire était tellement puissante, comment a-t-elle pu s'évaporer, le mois suivant, dans les isoloirs ? Comment, un an plus tard, Krivine, qui la représentait à l'élection présidentielle, a-t-il obtenu 1 % des voix, alors que le tohu-bohu se poursuivait de plus belle dans les universités ?
    « J'avance une explication d'un autre ordre. Je crois aux hommes acteurs de l'Histoire. Il y a eu un début de révolution parce qu'il yavait des révolutionnaires. En 65-66, quand le Parti a voulu reprendre en main les Jeunesses communistes, un peu trop turbulentes à son gré, les trotskistes et les maoïstes ont claqué la porte.
    L'inconnu. — C'est vrai, j'ai vécu cela.
    AP. — Les dissidents ont alors constitué des groupes vraiment révolutionnaires. Ils n'étaient que quelques centaines de militants, mais ils étaient bien décidés à subvertir la société et se sont organisés à cet effet. Ce sont eux qui ont réussi à créer l'événement. Il a suffi de ces quelques centaines de gauchistes, résolus et exercés, pour entraîner derrière eux une bonne part de la jeunesse estudiantine. Tout comme les conjurés de la rue d'Ulm ont réussi à congeler autour d'eux le millier de danseurs qui, l'instant d'avant, avaient applaudi chaleureusement le Général.
    Le maître de maison. — Je dirais plutôt que Mai 68 fut comme un coup de grisou. Le gaz est là, accumulé dans une poche de la mine, et il suffit d'une étincelle pour qu'il explose.
    AP. — C'est justement là que gît pour moi l'erreur. Il n'y avait pas de gaz accumulé ! En physique sociale, il n'y a pas forcément égalité entre la cause et la conséquence. On est toujours tenté de croire qu'à une grande conséquence, il faut une grande cause. Je crois que c'est une illusion. Tout dépend des hommes, de leur invention, de leur détermination, de l'enchevêtrement d'innombrables libertés imprévisibles.
    La maîtresse de maison. — Je crois surtout que le Général était un homme du XIX e siècle. 1968, c'est la fin du XIX e siècle et des contraintes qui pesaient encore sur la société.
    L'inconnu. — C'est cela, il y avait un appétit de libération, surtout de libération sexuelle.
    AP. — Croyez-vous vraiment ? La loi Neuwirth est de 1967. L'autorisation de la pilule, des contraceptifs, c'était acquis. La libération sexuelle avait commencé bien avant 68, elle a continué bien après. Elle s'est faite partout, même dans les pays où il n'y a pas eu de Mai 68. »
    Le déjeuner tire à sa fin et le débat n'en a pas. Mes hôtes n'ont pas été convaincus par ma façon de voir. Nous nous séparons bons camarades.

    En repartant, je pense au Général, à l'humiliation qu'il a dû ressentir. Il l'a enfermée dans le silence. Mais personne n'a mesuré l'effet que ce silence pouvait avoir dans sa psychologie. Imaginons qu'une enquête ait été faite. Elle aurait mis au jour le montage de l'opération. L'incident se réduisait à ce qu'il était en réalité : un coup de la cellule communiste et de ses satellites, qu'on n'appelait pas encore gauchistes. Mais derrière les jeunes gens qui lui avaient refusé leur main, de Gaulle a pu voir se profiler toute une École, toute l'Université, toute une jeunesse... A partir de ce moment, il a évité le monde universitaire, qui lui avait manqué. Qui dira dequel poids cette impression a pu peser dans son comportement pendant la crise de Mai ?
    Mais le silence a agi sur l'École aussi. Elle s'est solidarisée avec les fautifs, comme une classe de collégiens se solidarise avec les deux chahuteurs qui, dans le fond de la salle, se sont lancé des fléchettes. Et elle s'est ainsi solidarisée avec l'acte lui-même, que
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