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C'était de Gaulle, tome 3

C'était de Gaulle, tome 3

Titel: C'était de Gaulle, tome 3
Autoren: Alain Peyrefitte
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nous n'étions pas communistes. Dans la minute qui a suivi, un mot d'ordre est passé dans nos rangs : "Bouche cousue ! Aucun mot, aucun nom ! Il ne s'est rien passé ! "
    Le maître de maison. — Le mot d'ordre était destiné à éviter qu'il y ait des sanctions. Il fallait protéger notre camarade. Même entre nous, nous ne citions pas de noms.

    « C'est une gaminerie »
    AP. — La loi du silence, l' omerta , elle a été observée des deux côtés. Du vôtre, il ne fallait pas qu'on connaisse votre nom, ni celui de vos complices ; vous aviez peur de sanctions. Mais du côté de l'Élysée, on ne tenait pas non plus à monter l'affaire en épingle. On a minimisé les choses. Le cabinet de l'Élysée a téléphoné aux journaux sur le thème : "C'est une gaminerie. (Il paraît que le Général avait eu ce mot.) Ça n'a rien changé à la visite du Général, qui s'est très bien passée. Il a été très applaudi." » (Ce qui était vrai avant l'incident, mais il est reparti dans un épais silence.)
    Le silence tombe à nouveau sur nous. Je reprends : « C'est quand même impressionnant. Comment est-il possible qu'une conspiration, ourdie par cinquante conjurés, qui n'étaient pas homogènes, ne soit pas venue aux oreilles de la direction ? Il aurait été si facile de décommander cette visite, sous un prétexte quelconque !
    L'inconnu. — Pour l'engagement en faveur du FLN, pour le rejet de De Gaulle, nous étions absolument homogènes. Nous avions tous les mêmes convictions. Nous nous sommes engagés au secret absolu avant, pendant et après le bal.
    AP. — Le secret qui a été gardé pendant quelques jours pour préparer l'affront, encore, on comprend. Mais comment se fait-il que, depuis, le même secret ait pu être préservé pendant quarante ans ?
    Le maître de maison. — Nous étions liés par notre propre consigne.
    AP. — Mais comment expliquer que cette consigne perdure quarante ans après, alors que tous les témoins qui avaient à l'époque une responsabilité sont morts, et que les conjurés arrivent à l'âge de la retraite ?
    Le maître de maison. — L'incident est resté dans les mémoires, même si on n'en parlait pas.
    AP. — En tout cas, il est resté dans la mémoire du Général. Il a été si frappé de cette rebuffade qu'il n'a jamais pris le risque qu'elle se renouvelle. Systématiquement, il a évité de remettre les pieds dans une enceinte universitaire française. C'est d'autant plus frappant que, à l'étranger, il demandait à rencontrer les étudiants, ce qui donnait lieu chaque fois à des manifestations d'enthousiasme.
    Le maître de maison. — Et il a fallu attendre trente-cinq ans pour qu'un autre Président de la République, Mitterrand, mette les pieds à l'École. Il a fait préparer soigneusement sa venue. Les invités étaient triés sur le volet, pour qu'il n'y ait pas une seule fausse note. Il fallait qu'on puisse dire qu'il avait été bien reçu là où le Général avait été mal reçu, qu'il avait réussi là où de Gaulle avait échoué.
    AP. — Ce que cette affaire a montré avec force, c'est qu'une rébellion, soigneusement préparée en petit comité, peut entraîner la glaciation d'une salle d'un millier de danseurs, qui, l'instant d'avant, était chaleureuse. C'était une fête ; pas de politique, pas de discours, pas de message ; seulement un moment sans prétention, où l'on côtoyait familièrement l'Histoire, nous, celle d'un personnage de légende, lui, celle d'une institution prestigieuse, le tout dans une atmosphère bon enfant. Et voilà que le geste concerté de cinquante militants a pris en otage l'École pour en faire un symbole de résistance au Général. Sur ce millier de garçons et de filles, aucun n'a eu l'idée de forcer le barrage pour aller lui-même serrer la main du Général, quitte à créer un scandale encore plus grand ; quitte à entraîner une bagarre. Ce dont on se souvient quarante ans après, ce que l'historien retiendra, c'est ce geste brutal d'une infime minorité des participants : 5 % de cette population estudiantine avaient réussi à transformer pour l'Histoire le caractère de cette soirée. Je me demande si nous n'avons pas là l'avant-goût de ce qui s'est passé en mai 68.
    L'inconnu. — En 1968, je n'étais pas du tout dans le coup. J'étais en province. Nous étions des spectateurs lointains. Tout se passait à Paris.
    AP. — La ressemblance entre l'incident de 59 et la fronde de 68 réside dans le même
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