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Camarades de front

Camarades de front

Titel: Camarades de front
Autoren: Sven Hassel
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lèvres pleines et gonflées comme un fleuve au printemps. Alice arriva avec le dîner.
    – Vous y ferez bien honneur ? Heinz vient ce soir, on sera tous les quatre.
    « Qui peut bien être Heinz ? » se dit le lieutenant.
    Le cognac et la bière circulèrent ; on buvait tout ce qui vous tombait sous la main et Alice obtenait beaucoup de choses, ou bien elle les volait, mais elle savait que les autres volaient aussi et ces derniers savaient qu’elle savait ! Aussi finissait-elle par voler ouvertement.
    – Alice, tu n’as pas de moralité, disait sa sœur. Tu ne peux tout de même pas t’asseoir devant le lieutenant en combinaison.
    – La barbe ! dit Alice, et merde pour la morale.
    Le dénommé Heinz qu’on entendait monter l’escalier quatre à quatre entra comme quelqu’un qui a le droit de faire du bruit ; il était S. S. Unterscharführer.
    – Salut, les filles ! Voici de l’eau piquante et du café.
    Il eut un gros rire d’ivrogne et ne remarqua pas le grade d’Ohlsen qu’il appela sans façon « collègue », mais rien n’importait au lieutenant.
    Ils burent encore, plaisantèrent, puis allèrent se coucher. Alice gémissait de plaisir, Heinz riait comme un soudard qu’il était et soufflait tel un taureau.
    Le lendemain, à l’aube, le lieutenant partit sans réveiller personne, sans même savoir le nom de la fille. Il gagna la gare de la Friedrichstrasse. Le quai grouillait de permissionnaires qui retournaient au front, les uns accompagnés de leurs proches, mais la plupart seuls, car on évitait les adieux à la gare qui rappelaient trop les enterrements. Ohlsen fit les cent pas sur le quai. « Pas ordinaire, pensa-t-il, de repartir avant la fin d’une permission. »
    – Pourquoi diable, ne prenez-vous pas le train à Charlottenbourg ? demanda un employé de la gare à un groupe de soldats. Vous trouverez bien plus facilement de la place, c’est là que se forme le train.
    Un vieux sous-officier, qui était assis sur son sac, dit méprisant :
    – C’est dans l’autre sens qu’il faut faire ça ; il faut aller à Schlesinger Hof.
    – Pourquoi ? C’est la dernière station de Berlin, pleine à craquer !
    – Justement, ricana un obergefreiter étendu sur le quai mouillé, un étui de masque à gaz sous sa tête. Il n’y a pas de train pour le front à la gare de Silésie, mais si on y fait timbrer ses papiers par l’officier de gare, on a gagné un jour et on repart le lendemain.
    Un rapide arriva, bourré de soldats que le vieux sous-officier montra en riant.
    – Ce sont ceux qui ont compris ! Je parie ce qu’on veut que le train va se vider à la gare de Silésie, mais il faut se grouiller. Si on tarde, ces chiens de gendarmes y seront et on aura une bonne chance d’être collé au mur.
    Une demi-douzaine de soldats bondirent vers le train, essayant de s’y accrocher.
    – Ils ont du mal ! dit le sous-officier hilare. Eux aussi ont compris !
    – Sans arrêt jusqu’à la gare de Silésie ! criait le chef de train qui courait le long du quai.
    Il y eut un rire énorme : – Tu parles ! On sera plus vite rentrés !
    L’employé qui avait recommandé Charlotten-bourg regardait bouche bée le train archicomble.
    – C’est pas avec cette bande-là que le Führer gagnera la guerre ! – Il s’en alla outré.
    Un lieutenant de blindés vint vers le lieutenant Ohlsen et le salua en camarade.
    – Vous essayez le truc de la garde de Silésie !
    – Non, répondit Ohlsen avec indifférence.
    – Cher ami, c’est une journée de perm en plus !
    – Je n’en ai pas envie, rétorqua le lieutenant en souriant.
    L’officier tourna les talons et s’éloigna rapidement : – Nazi ou idiot, se dit-il, probablement les deux. Il alla vers deux lieutenants d’infanterie dont l’un disparut aussitôt dans le train.
    Accrochées à tous les transports, des pancartes portaient en grosses lettres des slogans encourageants, par exemple : « Il roule vers la victoire ! » Un sous-officier cracha sur l’une d’elles : – Peut toujours courir !
    Soudain retentit un coup de sifflet. C’était l’avis d’un feldwebel d’artillerie d’avoir à se méfier… Trois casques d’acier, trois gendarmes surgirent sur le quai. Des yeux méchants, soupçonneux, luisaient sous les casques brillants. Le train qu’attendait le lieutenant entra en gare et s’arrêta dans un grincement de freins. Les soldats se précipitaient. Cris, appels, jurons,
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