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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard
Autoren: Sackville-West
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semaine précédente. Quelques sourires sceptiques accueillirent cette nouvelle. Comment, en effet, Romola pouvait-elle se tromper, avec les sources de renseignements dont elle disposait ? Chère Romola ! Quelle femme intelligente !
    — Et jamais méchante, dit quelqu’un.
    — Non, répliqua un autre ; trop intelligente pour être méchante.
    Puis ils passèrent à d’autres gens, et Anquetil apprit comment la pauvre Constance avait commis la suprême gaffe de sa vie en invitant ensemble Sophie et Verona. Mais qui étaient Sophie et Verona et pourquoi ne devait-on pas les inviter ensemble ? Anquetil ne le devina point. Et la fille de Constance, épouserait-elle le jeune Ambermere ? Ce serait folie de le refuser : lorsque son père mourrait, il hériterait de trente mille livres de rentes ! (Encore l’argent, songea Anquetil, qui connaissait le jeune Ambermere et avait eu, un jour, le plaisir de lui dire exactement ce qu’il pensait de lui.) Il fut désolé pour la fille de Constance. Puis, pendant une minute, ils jouèrent à être sérieux. La politique voltigea à travers leurs propos, et ces dames et messieurs en parlèrent avec une familiarité protectrice et indifférente, comme si les affaires de l’État étaient des enfants qu’ils confiaient à des nurses et à des précepteurs, se rappelant parfois leur existence, surtout pour se plaindre de la manière dont précepteurs et nurses s’acquittaient de leurs devoirs. Mais, bien qu’ils fissent soigneusement sentir qu’ils étaient dans les coulisses, comme les parents qui se rendent à la nursery une fois par jour, il faut avouer que leur connaissance des affaires était purement superficielle et se réduisait à certains contacts personnels avec des hommes politiques.
    — Henry m’a dit, la semaine dernière… Ou : A. J. B. a dîné avec moi et m’a dit…
    Leur unique désir étant, bien entendu, d’étouffer les renseignements du voisin…
    — Voilà donc le grand monde, voilà l’élite, pensa Anquetil.
    Et il se demanda quelles qualités permettaient d’entrer dans ce monde, ayant déjà remarqué qu’aucun principe défini ne semblait présider à cette sélection. Le problème, en lui-même, ne l’intéressait guère, mais il lui permettait au moins de passer sans ennui ce dimanche après-midi sous les arbres de Chevron, tout en écoutant des conversations auxquelles il ne pouvait participer. Cette organisation l’intriguait, car il n’était pas encore parvenu à découvrir le facteur commun à tous ces gens ; ni la naissance, ni la fortune, ni l’intelligence ne semblaient indispensables (ainsi le croyait le naïf Anquetil), car si sir Adam était fabuleusement riche, Tommy Brand était pauvre ; si la duchesse de Hull était duchesse, Mme Lewison n’était rien, ni par sa naissance ni par son mariage ; et si lord Robert Gore était intelligent et ambitieux, sir Harry Tremaine était incontestablement une nullité… Néanmoins, ils tenaient tous leur rang avec la même assurance.
    Anquetil savait bien qu’eux et leurs amis appartenaient à une secte dont tout intrus était rigoureusement exclu ; mais à quel titre ? Il ne pouvait conclure. Parmi ces femmes, quelques-unes avaient un visage rébarbatif et manquaient à la fois de charme et d’esprit, mais elles avaient l’art (et c’était là leur seul mérite) de parler avec aisance de n’importe quoi, et une façon de trancher toutes les questions comme s’il n’y avait plus rien à ajouter.
    — Si c’est là le monde, pensa Anquetil, Dieu nous aide, car nulle imposture n’a jamais égalé celle-ci ! Voilà des gens, ou le type de gens, qui consacrent la saison de Londres, font la gloire d’Ascot, donnent ou retirent la vogue aux petites villes d’eaux du continent, inspirent l’envie, l’émulation, le snobisme… Bah ! songea-t-il, en haussant les épaules, ils dépensent leur argent, et c’est le mieux qu’on puisse en dire… !
    Étendu dans sa chaise longue d’osier, il les apercevait qui se promenaient sur la pelouse, et il était couché si bas que le gazon semblait se dresser derrière eux, comme une étoffe verte étendue sur un mur, contre lequel se profilaient les petits dômes des ombrelles et les tailles fines, découpées comme des sabliers, au-dessus des amples jupes.
    * * *
    Dans le salon de l’intendant, le sommelier offrit gravement son bras à la femme de chambre de la duchesse de Hull et l’installa à sa droite.
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