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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard
Autoren: Sackville-West
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Le valet de chambre de lord Roehampton fit de même avec Mme Wickenden,la gouvernante. Mme Wickenden n’était pas mariée, et c’est par courtoisie qu’on l’appelait Madame. Les lois de la préséance étaient rigoureusement observées à l’office ; les soubrettes et les valets des invités jouissaient des mêmes privilèges que leurs maîtres ; quand les rangs étaient égaux, on s’en référait à la date de naissance, et pour cela, il y avait toujours un exemplaire du Debrett dans la chambre de la gouvernante (celui de l’année passée, que Mme Wickenden subtilisait dans le boudoir de Sa Grâce dès que la nouvelle édition y apparaissait). Valets et femmes de chambre s’attribuaient non seulement les mêmes prérogatives que leurs maîtres, mais encore leurs propres noms. Ainsi, bien que la femme de chambre de la duchesse de Hull fût venue plusieurs fois à Chevron et fût très liée avec Mme Wickenden, on ne l’appelait jamais que miss Hull, et personne n’aurait pu dire quel était son vrai nom : Mme Wickenden elle-même ne l’avait certainement jamais prononcé.
    Mme Wickenden et Vigeon, le sommelier, entre lesquels il y avait une alliance teintée d’hostilité, se vantaient qu’aucune faute contre l’étiquette n’avait jamais été commise dans la salle de l’intendant et que, grâce à cela, on n’y avait jamais vu de disputes comme celles qui, disait-on, éclataient parfois dans des maisons moins favorisées par le sort.
    La domesticité de Chevron était admirablement organisée. Celui qui n’avait pas dix ans de service était considéré comme un intrus ; au bout de dix ans, il était appelé devant Sa Grâce et recevait en cadeau une montre en or avec son nom et la date gravée au dos ; Sa Grâce leur adressait quelques paroles d’encouragement, et on les considérait désormais comme de la maison. Mais, en dehors de cette entrevue unique, rapide, intimidante, les domestiques subalternes ne voyaient Sa Grâce que très rarement. Tous ne la connaissaient même pas de vue et il est certain qu’un grand nombre étaient complètement ignorés d’elle. On racontait qu’un jour, la duchesse, croisant au pied de l’escalier la cinquième femme de chambre, lui avait demandé où était lady Viola et fut complètement ahurie quand la soubrette répondit :
    — Je vais voir, madame. De la part de qui ?
    Il était rare qu’un étranger obtînt une situation à Chevron. Le népotisme régnait. Ainsi, Mme Wickenden et Wickenden, le maître menuisier, étaient frère et sœur ; leur père et leur grand-père avaient été menuisiers ; plusieurs femmes de chambre étaient les nièces de Mme Wickenden, et le troisième valet de pied était le neveu de Vigeon. On regardait de haut tous les gens du dehors et on se méfiait d’eux. Mme Wickenden était petite, tirée à quatre épingles, et ressemblait à un oiseau. Un léger froufrou accompagnait tous ses mouvements. En hiver, elle portait un châle noir, étroitement serré autour de ses épaules, et marchait à pas rapides et précis ; son nez était pointu et son attitude légèrement méprisante, presque maussade. Vigeon, lui, bien qu’étant la correction même dans sa profession, aimait se laisser aller à la plaisanterie dans l’intimité. La duchesse l’ignorait, mais Sébastien et Viola le savaient bien. Quand ils étaient enfants, ils s’étaient naturellement mêlés à la vie des domestiques, surtout quand leur mère était absente, et une des plus grandes joies qu’avait connues Sébastienétait de se faire soulever par Vigeon à la hauteur d’un tableau accroché dans l’office. Le tableau représentait une nature morte : des raisins et des citrons à côté d’un plat d’huîtres. Vigeon faisait des passes devant le tableau, feignait de cueillir une grappe sur la toile quand – ô surprise ! – un raisin véritable apparaissait entre ses doigts ; alors, dans une dernière passe triomphale, il fourrait le raisin dans la bouche de Sébastien.
    — Cueille-moi une huître, Vigeon ! criait l’enfant, cueille-moi une huître !
    Mais une seule fois, que jamais Sébastien n’oublia, Vigeon cueillit une huître !
    Les grappes de raisin se trouvaient, aujourd’hui, sur la table de l’intendant, car Mme Wickenden était chargée de surveiller les fruits et nul ne songeait jamais à contrôler les cueillettes du jardin. Toute la maison vivait sur un pied de somptueuse extravagance. Chacun,
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