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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard
Autoren: Sackville-West
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Avec son grand chapeau de paille d’Italie orné de roses et de rubans de velours bleu, son fichu en mousseline Marie-Antoinette, elle ressemblait tout à fait au portrait que Sargent avait fait d’elle (le clou du Salon, cette année-là), et on comprenait sans mal qu’elle ait acquis la réputation de « beauté professionnelle ». Quant à la vieille duchesse de Hull, il ne pouvait la souffrir. Elle était abominablement fardée, avec un triangle de rouge sur chaque joue, et, comme son sens de la direction n’était plus très sûr, elle visait mal, si bien que chaque coup de fourchette arrachait l’émail autour de sa bouche, laissant apparaître une horrible peau jaune. Mais sa langue était plus spirituelle et plus pointue que jamais ; en outre, elle jouait au bridge admirablement, et nulle maîtresse de maison n’aurait eu l’audace de ne pas l’inviter.
    — Eh bien, jeune homme ? aboya-t-elle.
    Mais lady Roehampton murmura : « Eh bien, Sébastien ? » et lui sourit, comme si elle savait exactement ce qu’il venait de faire.
    Lady Roehampton, bien que personne, en la voyant, ne l’eût soupçonné, avait une fille à marier.
    * * *
    Et maintenant, il fallait passer tant bien que mal la fin de cette journée. Mais les invités, quoique gâtés par toutes les distractions que la vie leur avait certainement octroyées, ne semblaient pas disposés à s’ennuyer au contact de leurs semblables, ni à changer le programme qu’ils avaient déjà suivi au cours d’innombrables dimanches après-midi depuis qu’ils avaient échappé aux murs étroits de l’école ou de la salle d’études, pour prendre place dans un monde où le plaisir tombait comme une pêche mûre dans une main tendue. En les observant, Léonard Anquetil s’étonnait de les voir si aisément satisfaits.
    — Voilà une vingtaine d’êtres, songeait-il, qui, en raison de leur situation, ont toujours été les intimes des princes, des hommes politiques, des financiers, des beaux esprits, des coquettes et autres bâtisseurs de l’histoire et qui, apparemment, se contentent de bavardages décousus et d’occupations factices pendant toutes les lentes heures d’une journée oisive. On ne pouvait même pas se dire que leurs plaisirs des autres jours fussent différents, ou que leurs week-ends leur apportassent un délassement bien mérité après une vie plus pleine et plus ardente. Tous leurs jours étaient pareils, avaient été pareils depuis une éternité ; non seulement pour eux, mais pour toute la lignée de leurs ancêtres. Voyons, songeait Anquetil, ouvrantsoudain les yeux sur une vérité qui ne lui était pas encore apparue, ce monde a toujours existé. Étrange tour de passe-passe, qui projette tout à coup certains visages en pleine lumière, au point qu’ils sont familiers à la femme de l’employé de banque et que leurs faits et gestes font mourir d’envie la fille du pharmacien de South Kensington ! De quel étrange éclat le système est paré ! Insolente imposture ! Et sur quoi fondent-ils leurs prétentions ?
    Car Anquetil, quoi qu’il fît, ne pouvait voir en quoi ces gens étaient remarquables ni en quoi leur conversation pouvait rendre palpitants leurs lieux communs. Que pensaient-ils de telle réunion ? Iraient-ils à telle autre ?
    — Cette soirée chez Miriam, Lucie ? Rasante, comme d’habitude ?
    — Non, répondit Lucie, pour une fois, c’était une charmante soirée, mais la pauvre Miriam ne sera jamais une maîtresse de maison ; les millions ne font pas un salon.
    — Déjeunez-vous chez Celia, demain ?
    — Oui, et vous ?… Tony, vous y allez ? Ce sera si drôle. On se moquera de Celia dans un coin…
    — Ma chère ! Il faut empêcher Violette de recevoir. Qu’on vote une loi. Vendredi, c’était épouvantable, affreux, atroce ! Une nourriture infâme… Chez qui allez-vous pour Ascot ?…
    Anquetil fut sur le point de se lever et de fuir, mais tout cela, après tout, l’amusait. Leurs soirées, songeait-il, sont comme ces cigarettes qu’on allume les unes aux autres, dans l’espoir que la suivante sera meilleure. Puis les questions d’argent prirent une grande placedans leurs conciliabules, les revenus de leurs amis, la cote des valeurs, et aussi la perspicacité financière de Mme Cheyne, qu’Anquetil ne connaissait que de réputation, mais qu’il entendait citer sans cesse. Romola Cheyne avait, disait-on, subi de grosses pertes sur les caoutchoucs, la
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