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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard
Autoren: Sackville-West
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s’avançaient, une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, en robes imprimées et tabliers blancs, leur assiette garnie d’un morceau de pudding traversé d’une cuiller, comme si elles observaient les rites d’une étiquette antique et hiérarchique.
    Il devait être une heure moins le quart. Le repas des domestiques commençait à midi et demi, et on pouvait se fier à la ponctualité de la maison comme au soleil lui-même. Sébastien fit la grimace, puis ilsoupira, car l’approche du repas, c’était, pour lui, abandonner le toit et sa céleste liberté, abandonner le spectacle de la maison, du jardin et du parc, et descendre pour être happé une fois de plus par le flot des invités de sa mère. Les week-ends se passaient toujours ainsi, pendant tout l’été, bien que lui, Sébastien, qui était à Oxford, n’en souffrît que pendant les grandes vacances. Pour sa sœur, c’était différent ; elle restait toujours à la maison, et il était probable qu’en ce moment on était en train de lui friser et de lui tortiller les cheveux jusqu’à ce que – disait son frère – elle pût à peine fermer la bouche… Or, s’il était facile de grimper sur les toits, il n’était pas si facile d’en descendre, comme Sébastien le découvrit et devait le découvrir encore par la suite. Il resta longtemps suspendu, dans une dangereuse hésitation, au-dessus du puits de la petite cour. Il ne pouvait se résoudre à sauter. Supposez qu’il manquât son élan ? Qu’il filât, comme une flèche, entre les créneaux et vînt s’écraser dans l’abîme ? L’air était doux, réchauffé par le soleil ; et la terre était douce, au pied qui s’appuyait sur elle ; mais Sébastien se trouvait actuellement dans une situation ridicule, suspendu entre les deux ; il esquissa un mouvement et fit glisser une tuile. Elle glissa avec un bruit discret et solitaire. Les léopards le surveillaient, sarcastiques, portant leurs écussons. Soudain, au-dessus de sa tête, l’horloge sonna un coup ; l’écho retentit sur tous les toits et rentra se reposer dans la tour de l’horloge, après avoir donné l’alarme en cette ponctuation solitaire du temps. Les pigeons, surpris, s’envolèrent, puis revinrent, une fois encore, s’installer sur lespignons pour y reprendre leurs amours. Il n’y avait plus qu’à sauter. Sébastien sauta.
    * * *
    Il arriva en retard au déjeuner, et sa mère le regarda d’un air de reproche lorsqu’il se glissa vers la petite table qui lui était destinée. Sa mère était contrariée, mais elle adorait son fils et ne pouvait nier qu’il fût beau garçon. D’une beauté si particulière qu’elle en était frappée chaque fois qu’il entrait quelque part. Il avait la peau si brune, si douce, couleur olive. Potini, cet Italien subtil, séduisant et sensuel, avait touché juste en chuchotant que Sébastien possédait tout le charme de l’adolescence patricienne. Adolescence patricienne. Oui, songeait sa mère, qui n’aurait jamais pu trouver les mots elle-même ; oui, c’était bien Sébastien. Il pouvait être en retard d’une demi-heure, on lui pardonnait toujours.
    Il y avait trente personnes à déjeuner ; mais deux sièges étaient demeurés vides : c’étaient ceux de deux personnes qui devaient venir de Londres en automobile et qui, naturellement, n’étaient pas encore arrivées. La duchesse n’attendait jamais les automobilistes. À eux de courir leur chance. Et comme ce jour-là était un dimanche, ils ne pourraient pas envoyer le télégramme habituel annonçant qu’ils étaient en panne.
    La conversation s’interrompit quand Sébastien entra ; une ou deux personnes se mirent à rire, mais sans malice. Le déjeuner était servi dans la salle des banquets, par petites tables de quatre et de six, l’apparat de la grande table étant réservé au dîner. La salle, vaste et haute, était dallée ; des armoiries coloraient les fenêtres, les léopards rampaient le long des panneaux, des andouillers de cerfs décoraient les murs en face des portraits en pied de Van Dyck ; de chaque côté de la porte, il y avait, dans des seaux à glace en or, deux minuscules vignes bachiques, chargées de raisins grandeur nature ; c’était une originalité bien connue de Chevron. Sébastien se trouvait avec sir Harry Tremaine, lady Roehampton et la vieille duchesse de Hull. Il aimait beaucoup lady Roehampton, et sa présence lui causait toujours un étrange malaise.
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