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VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS

VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS

Titel: VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS
Autoren: Anonyme
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fut le premier échelon que je gravis pour atteindre la bonne vie, car alors je mangeais à ma faim. Chaque jour, je rapportais de gain à mon maître trente maravédis, le samedi excepté, où je gagnais pour moi seul, et, outre cela, tous les jours, le surplus des trente maravédis m’était encore laissé.
    Le métier me réussit si bien qu’au bout de quatre ans, avec ce que j’avais épargné, je pus me vêtir fort honorablement à la friperie, où j’achetai un pourpoint de futaine, un saye râpé à manches passementées et à pochette, un manteau qui avait été frisé, et une épée de Cuellar, des vieilles premières.
    Dès que je me vis en habit d’honnête homme, je dis à mon maître de reprendre son âne, ne voulant plus continuer ce métier.

CHAPITRE VIII – COMMENT LAZARE SERVIT UN ALGUAZIL ET CE QUI LUI ADVINT
    A YANT pris congé du chapelain, je servis de recors à un alguazil, mais ne demeurai pas longtemps avec lui, le métier m’ayant paru dangereux ; car il nous arriva une nuit, à mon maître et à moi, d’être poursuivis à coups de pierre et de bâton par des malfaiteurs retirés en franchise ; mon maître, qui les attendit, fut maltraité, mais moi je pus m’enfuir. Cela me fit renier le métier.
    Et pendant que je pensais au genre de vie que j’élirais pour y trouver repos et amasser quelque chose pour ma vieillesse, Dieu daigna m’éclairer et m’acheminer à une vocation avantageuse. Avec l’aide d’amis et de seigneurs, toutes les fatigues et misères que j’avais jusqu’alors endurées me furent payées. J’obtins ce que je cherchais, une charge du Roi (car ceux-là seuls qui en ont une réussissent), dont aujourd’hui je vis et que j’exerce pour le service de Dieu et le vôtre, Monsieur. Et ma charge est de crier les vins qui se vendent en cette cité, de crier aux ventes et les choses perdues, d’accompagner ceux qui sont condamnés par la justice et de déclarer à haute voix leurs méfaits, enfin, pour parler clair, je suis crieur public.
    J’ai eu tant de bonheur et ai si bien rempli mon emploi que quasi toutes les choses qui concernent cette charge me passent par les mains, tellement que, dans toute la ville, celui qui a du vin à vendre ou quelque autre chose peut compter de n’en tirer profit que si Lazare s’en mêle.
    En ce temps, M. l’Archiprêtre de San Salvador, mon maître et votre ami, Monsieur, ayant eu connaissance de ma personne, parce que je lui criais ses vins, chercha à me marier avec une sienne servante ; et moi, voyant qu’il ne m’en pouvait venir que bien et faveur, j’y consentis. Je me mariai donc avec elle, et, jusqu’ici, n’ai point eu lieu de m’en repentir ; car, outre qu’elle est bonne fille et diligente ménagère, j’ai en M. l’Archiprêtre toute faveur et protection. Bon an, mal an, il lui donne de temps à autre une charge de froment, aux grandes fêtes de la viande, parfois une couple de pains de l’offrande et les vieilles chausses qu’il ne met plus. Il nous a fait louer une maisonnette joignant la sienne, où, presque tous les dimanches et fêtes, nous avions accoutumé de manger ; mais les méchantes langues, qui ne chôment jamais, ne nous laissaient pas vivre, disant je ne sais quoi, ou plutôt je sais bien quoi : qu’on voyait ma femme faire le lit de M. l’Archiprêtre et lui apprêter son manger.
    Dieu les secoure mieux qu’ils ne disent la vérité ! parce que, sans compter qu’elle n’est point femme à se payer de ces plaisanteries, mon maître m’a promis ce qu’il tiendra, je pense ; car un jour il me parla longuement en présence de ma femme et me dit : « Qui prête foi aux propos des mauvaises langues ne fera jamais fortune, et je te dis cela parce que je ne serais point surpris que quelqu’un murmurât, voyant ta femme entrer en ma maison et en sortir. Elle y entre tout à ton honneur et au sien, je te le jure ; et, partant, ne prends point garde à ce qu’on peut dire, mais à ce qui te touche, c’est à savoir à ton profit. » – « Monsieur, lui dis-je, j’ai résolu de faire ma compagnie des gens de bien. Il est vrai que certains de mes amis m’ont dit quelque chose de cela, et même plus de trois fois m’ont assuré qu’avant que je l’épousasse, ma femme avait par trois fois accouché : sauf votre respect, puisqu’elle est ici présente. »
    Alors ma femme se mit à faire tels serments que je tremblai que la maison ne s’écroulât sur nous ;
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