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VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS

VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS

Titel: VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS
Autoren: Anonyme
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meurent sans savoir ni se demander pourquoi.
    Un écrivain espagnol a noté combien étaient nombreux dans sa langue les mots qui désignent la bonne ou la mauvaise fortune. Nos romans prouvent que sa remarque est juste : on y nage en plein fatalisme oriental, tout y est dû au sort, et l’on n’y parle que par heur et malheur, astre et désastre.
    Mais ce trait n’est pas le seul qui ôte aux protagonistes des nouvelles picaresques toute valeur intellectuelle ou morale et déplace l’intérêt de ces livres. Il faut tenir compte aussi de la condition des héros, trop basse, trop répugnante parfois, trop exceptionnelle pour le commun des lecteurs, qui aiment qu’on leur raconte ce qui est au-dessus d’eux, un monde meilleur que nature plutôt que les misères de la vie vraie, les souillures des bas-fonds sociaux.
    L’Espagne est le pays des contrastes. Après l’idéalisme outré et à la longue ridicule des chevaleries, après les merveilleux enchantements des livres bretons, tout imprégnés de la tendresse vaporeuse et de la mélancolie douce de leur pays d’origine, voici le réalisme éhonté et brutal des Célestines et des nouvelles picaresques, l’esprit de l’Espagne latine qui n’admet que ce qui tombe directement sous le sens, la verve impitoyable d’un Martial qui renaît. Aux chevaliers copiés sur les nôtres, toujours nobles et généreux, voués à un idéal inaccessible, aux forêts fraîches et profondes, à ce monde imaginaire et fantastique succèdent et s’associent – car les deux genres ont vécu côte à côte un temps – la maquerelle et son escorte de rufians et de filles, le galopin de cuisine, écumeur de marmites, le vagabond déguenillé de la place de Madrid ou du Zocodover de Tolède, le goujat d’armée, le pêcheur de thons des madragues de Zahara, toutes les variétés, en un mot, du picaro , non plus errant comme le chevalier au travers de la mystérieuse et verte floresta , mais traînant sa gueuserie et s’épouillant au soleil sur la terre âpre et nue de la vraie Espagne.
    D’où procède ce type de gueux ? Il serait un peu long de l’expliquer en détail. Disons seulement qu’il est le produit nécessaire de la grande commotion qui secoua si violemment la vieille Espagne à la fin du XV e siècle et la lança dans la vie moderne.
    La conquête de Grenade, la découverte de l’Amérique, l’expulsion des Juifs, les guerres d’Italie, événements tous d’importance capitale qui ont marqué le règne des Rois Catholiques, devaient avoir pour résultat de modifier profondément l’ancienne organisation sociale du pays. La hiérarchie des classes et des individus en fut troublée, des hommes, cantonnés jusqu’alors au fond de leur province et maintenus dans un état voisin de la servitude, furent du coup appelés à l’indépendance, entraînés hors de leur terroir par la propagande des découvreurs et des conquérants. Du haut des montagnes des Asturies, de la Castille et de la Navarre, des bandes, pareilles à des coulées de lave, descendaient vers les ports d’Andalousie, où se battait le rappel pour l’Italie et les Indes ; là s’entassaient, dans les caravelles et les galères en partance, ces gens simples, durcis par la misère et le climat natal, et que des récits merveilleux, des promesses folles, avaient exaltés, fanatisés au delà du possible. Ni tous revinrent, ni tous s’enrichirent. L’or des Indes ou les dépouilles rapportées d’Italie ne profitèrent qu’au plus petit nombre ; mais l’effervescence était telle que même les déceptions et les fatigues endurées ne la calmèrent de longtemps. La grande armée des aventuriers s’accrut d’année en année, et l’Espagne de la première moitié du XVI e siècle fut comme envahie et rongée par une lèpre de déclassés, épaves de guerres malheureuses, de lointaines expéditions manquées, de désastres sur terre et sur mer. Et comme, au fond, le tempérament de la race n’avait pas varié, que les idées léguées par le moyen âge et qui, aux temps héroïques de la monarchie, avaient eu leur grandeur et leur utilité, persistaient ; que le mépris du travail manuel, du trafic et de l’échange, restait comme par avant le premier dogme national ; que l’Espagne enfin, privée de ses Juifs et ses Morisques, s’appauvrissait de jour en jour, il arriva que ces hommes désorientés, au lieu de concourir à former une sorte de classe intermédiaire entre la
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