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VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS

VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS

Titel: VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS
Autoren: Anonyme
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puis elle pleura et proféra mille malédictions contre celui qui l’avait mariée avec moi, en sorte que j’eusse voulu être mort plutôt que d’avoir laissé échapper cette parole de ma bouche. Mais mon maître d’un côté et moi de l’autre lui dîmes et concédâmes tant de choses, qu’elle cessa de pleurer, moyennant que je lui fisse serment de ne plus jamais en ma vie lui parler de cela, mais de me réjouir et trouver bon qu’elle entrât chez mon maître et en sortît de nuit et de jour, puisque j’étais entièrement assuré de son honnêteté. Et ainsi nous demeurâmes tous trois bien d’accord.
    Et, jusqu’au jour d’aujourd’hui, personne ne nous a ouï parler du fait ; bien plus, lorsque je sens que quelqu’un y veut faire allusion, je l’arrête net et lui dis : « Écoutez, si vous êtes mon ami, ne me dites rien qui me chagrine, car je ne tiens pas pour mon ami celui qui me cause de la peine, principalement si c’est pour me mettre mal avec ma femme, qui est la chose du monde que j’estime le plus, l’aimant plus que moi-même ; car Dieu, en me la donnant, m’a fait mille grâces et plus de bien que je n’en mérite ; et je jurerais sur l’hostie consacrée qu’elle est aussi femme de bien qu’aucune autre qui demeure en l’enceinte de Tolède, et qui en dira le contraire, je le tuerai. »
    De cette manière, on ne m’en dit rien et j’ai la paix en ma maison. Cela advint la même année que notre victorieux empereur entra en cette insigne cité de Tolède et y tint cortès, en raison de quoi se firent grandes réjouissances et fêtes, comme vous l’aurez appris, Monsieur.

CHAPITRE IX – OÙ LAZARE CONTE L’AMITIÉ QU’IL EUT À TOLÈDE AVEC DES ALLEMANDS ET CE QUI LUI ADVINT AVEC EUX
    E N ce temps, j’étais dans ma prospérité et au comble de toute bonne fortune, et comme j’allais toujours muni d’un bon baril et de bons fruits du pays pour montre de ce que je criais, je me fis tant d’amis et protecteurs parmi ceux de la cité et du dehors, qu’en quelque lieu que je me rendisse, je ne trouvais nulle porte fermée. Et j’étais si bien vu, que si j’avais tué quelqu’un ou s’il m’était advenu quelque autre cas grave, tout le monde, je crois, eût pris mon parti et j’eusse trouvé chez mes seigneurs toute faveur et protection. Aussi ne leur laissais-je jamais la bouche sèche, mais les menais avec moi où se vendait le meilleur que j’avais crié par la ville, et là nous faisions splendide chère et vie. Souvent il nous arriva d’entrer sur nos jambes et de sortir sur celles d’autrui ; et, le plus beau, du diable si tout ce temps-là Lazare de Tormès dépensa une pauvre blanque, ni put obtenir qu’on la lui laissât dépenser. Au contraire, si parfois, à bon escient, je mettais la main à la bourse, feignant de vouloir payer, ils le tenaient pour un affront, et, me regardant de travers, s’écriaient : Nite, nite, asticot, lanz. Puis, me réprimandant, disaient qu’où ils étaient nul n’avait une blanque à payer.
    C’est pourquoi je mourais d’amour pour telles gens, qui, toutes les fois qu’ils me rencontraient, me bourraient les basques et le sein de jambons, de gigots de mouton cuits dans de bons vins cordiaux et assaisonnés de fine épice, de morceaux de chairs salées et de pain ; en sorte que j’avais en ma maison de quoi me nourrir, moi et ma femme, une semaine entière. Et au milieu de cette abondance, je me souvenais de mes faims passées, louais le Seigneur et lui rendais grâce. Ainsi vont les choses et les temps.
    Mais, comme dit le proverbe : qui bien te fera, ou bien mourra, ou bien s’en ira. Et ainsi m’advint-il, car la cour changea de résidence comme elle a accoutumé de faire. Et, au moment du départ, je fus vivement requis d’aller avec mes bons amis, qui me promirent monts et merveilles ; mais, me souvenant du proverbe : mieux vaut le mal connu que le bien à connaître, je les remerciai de leur bonne volonté, et, tristement, pris congé d’eux avec force accolades.
    Certes, si je n’avais été marié, je n’aurais pas quitté leur compagnie, vu que c’étaient gens faits à mon goût et mon humeur et qui menaient plaisante vie, n’étant ni fantasques, ni présomptueux, et n’ayant scrupule ni dégoût d’entrer en la première taverne venue, le bonnet à la main, si le vin le méritait. Gens ronds et honnêtes et de bourse si bien garnie, que Dieu veuille ne m’en point départir
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