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VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS

VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS

Titel: VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS
Autoren: Anonyme
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« Tenez, voici son garçon et la clef de la porte. » Ils me demandèrent où était mon maître. Je leur répondis que je ne le savais pas, et que, depuis qu’il était sorti pour changer la pièce, il n’était pas revenu, ce qui me faisait croire qu’il s’était sauvé d’eux et de moi avec la monnaie du doublon.
    Dès qu’ils ouïrent cela, ils furent quérir un alguazil et un greffier. Et les voici qui reviennent avec ces gens, prennent la clef, m’appellent, appellent des témoins, ouvrent la porte et entrent pour saisir le bien de mon maître jusqu’à concurrence de la dette. Ils parcoururent toute la maison, et, l’ayant trouvée vide, comme je l’ai conté, me dirent : « Où est le mobilier de ton maître ? ses coffres, ses tapisseries et ses ustensiles de ménage ? » – « Je n’en sais rien », dis-je. – « Sans doute ils l’ont enlevé cette nuit et porté quelque part. Monsieur l’alguazil, arrêtez ce garçon, car il sait où est tout cela. » L’alguazil s’approcha et me mit la main au collet de mon pourpoint, en disant : « Garçon, je t’arrête, si tu ne déclares pas où est le bien de ton maître. » Moi qui ne m’était jamais vu en telle détresse (car saisi au collet, oui je l’avais été, mais doucement, pour montrer le chemin à celui qui ne voyait pas), j’eus grand’peur, et, en pleurant, je promis de répondre à ce qu’ils me demandaient. « C’est bien, » dirent-ils, « dis ce que tu sais, et n’aie crainte. » Le greffier s’assit sur un siège de pierre pour écrire l’inventaire, me demandant ce qu’il y avait. « Messieurs, répondis-je, ce que mon maître possède, à ce qu’il m’a dit, est un fort bon emplacement à bâtir des maisons et un colombier ruiné. – « Bien, » dirent les créanciers, « pour peu que cela vaille, il y aura là de quoi éteindre la dette. Et en quelle partie de la cité est situé cela ? » – « Dans son pays. » – « Pardieu, voilà notre affaire en bonne voie, et où est son pays ? » – « De Castille-la-Vieille, m’a-t-il dit qu’il était. » À ces mots, l’alguazil et le greffier se mirent à rire très fort : « Voilà une déposition suffisante pour recouvrer votre dette, encore qu’elle fût plus importante. »
    À ces mots, les voisines qui étaient là leur dirent : « Messieurs, cet enfant est un innocent qui, depuis peu, vit avec cet écuyer et ne sait pas plus que vous ses affaires, car même le pauvret s’en venait chez nous et nous lui donnions à manger ce que nous pouvions, pour l’amour de Dieu, et à la nuit il s’en retournait coucher avec son maître. »
    Mon innocence reconnue, ils me lâchèrent et me mirent en liberté. Puis, l’alguazil et le greffier demandèrent leurs droits à l’homme et à la femme ; sur quoi il y eut entre eux grand débat et rumeur, parce que ceux-ci prétendirent qu’ils n’étaient pas tenus de payer, puisqu’il n’y avait rien, et, partant, point de saisie. Les autres alléguèrent qu’ils avaient laissé d’aller à une autre affaire qui leur importait plus, pour venir à celle-ci. Enfin, après avoir beaucoup disputé, un archer saisit la vieille couverture de la vieille, et, quoiqu’il n’en fût guère chargé, néanmoins tous les cinq l’escortèrent je ne sais où ; mais il m’est avis que la pauvre couverture paya pour tous, et bien s’employait-elle, car au moment où elle aurait dû reposer et se délasser des fatigues passées, elle se louait encore.
    Voilà comment me quitta mon pauvre troisième maître. Par quoi j’achevai de reconnaître ma déplorable fortune, qui, se déclarant tant et plus contre moi, conduisait mes affaires tout à rebours ; car, tandis qu’il est d’usage que les serviteurs abandonnent leurs maîtres, dans mon cas il en fut autrement, mon maître m’ayant laissé et s’étant sauvé de moi.

CHAPITRE V – COMMENT LAZARE SE MIT AU SERVICE D’UN MOINE DE LA MERCI, ET CE QUI LUI ADVINT ÉTANT EN SA COMPAGNIE.
    I L me fallut chercher le quatrième, et celui-ci fut un moine de la Merci, auquel les femmelettes que j’ai dites m’adressèrent ; elles l’appelaient parent. Grand ennemi du chœur et de manger au couvent, il se serait damné pour courir dehors, et aimait particulièrement les affaires séculières et les visites, tant que je pense qu’il rompait à lui seul plus de souliers que tout le reste du couvent.
    Ce maître me donna les premiers
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