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VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS

VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS

Titel: VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS
Autoren: Anonyme
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avec ce charlatan qui vous prêche et qui m’a enjôlé et persuadé de l’aider en cette affaire, à condition que nous partagerions le profit. Mais maintenant, considérant le tort que je causerais à ma conscience et à votre bourse, je me repens de ce que j’ai fait et vous déclare ouvertement que les bulles qu’il prêche sont fausses, que vous ne devez ni le croire ni les prendre, et que je n’ai en cela part directe ni indirecte ; ce que je prouve en renonçant dès à présent à ma verge et la jetant par terre, afin que si un jour cet homme est puni pour sa fausseté, vous me soyez témoins que je n’ai pas été avec lui ni ne lui ai prêté assistance, mais que je vous ai détrompés en dénonçant sa malice. » Et il termina ainsi sa harangue.
    Quelques personnes honorables qui étaient là voulurent se lever et chasser l’alguazil de l’église pour éviter le scandale ; mais mon maître les retint et commanda à tous, sous peine d’excommunication, de ne point le violenter et de lui laisser dire tout ce qu’il voudrait. Lui-même garda le silence pendant que l’alguazil dit ce que j’ai rapporté. Et, lorsque celui-ci se tut, mon maître lui dit que s’il voulait parler encore, qu’il parlât. Et l’alguazil répondit : « Il y a bien plus à dire sur vous et votre fausseté, mais cela suffit pour l’instant. »
    Alors M. le Commissaire, tombant à genoux dans la chaire, les mains jointes, les yeux levés au ciel, dit ceci : « Seigneur Dieu, à qui aucune chose n’est cachée, mais toutes sont manifestes, et à qui rien n’est impossible, tu sais la vérité et combien je suis injustement outragé. En ce qui me touche, je le pardonne, pour que toi, Seigneur, tu me pardonnes. Ne prends point garde à cet homme qui ne sait ce qu’il dit, ni ce qu’il fait. Mais l’injure à toi faite, je te prie et te requiers, au nom de la justice, de ne la point dissimuler, car peut-être se trouve-t-il ici quelqu’un qui pensait prendre la bulle et qui, ayant ajouté foi aux paroles fausses de cet homme, est près d’y renoncer. Et cela devant être si préjudiciable au prochain, je te supplie, Seigneur, de ne le point dissimuler, mais de montrer ici promptement un miracle qui ait lieu en cette forme : si ce que celui-ci a dit est vrai et si je suis coupable de malice et de fausseté, que cette chaire s’abîme avec moi et descende sept brasses sous terre, d’où elle ni moi ne reparaissions jamais ; si, au contraire, ce que je dis est vrai et si cet homme, à l’instigation du démon et pour priver et frustrer ceux qui sont ici d’un si grand bien, a menti méchamment, qu’il soit châtié et qu’à tous soit manifestée sa malice. »
    À peine mon dévot maître avait-il terminé son oraison, que le misérable alguazil tomba de son haut et donna si grand coup, que l’église tout entière en retentit ; puis se mit à bramer, à lancer de l’écume par la bouche, à la tordre, à faire des grimaces avec son visage, à se débattre des pieds et des mains et à se rouler de côté et d’autre sur le sol. Le tumulte et les cris des assistants étaient tels qu’entre eux ils ne s’entendaient plus. Plusieurs étaient épouvantés et perplexes ; les uns disaient : « Dieu le secoure et le sauve » ; d’autres : « C’est bien fait pour lui, puisqu’il porte un faux témoignage. » Finalement, quelques-uns, non sans grande frayeur, à mon avis, s’approchèrent et le saisirent par les bras, dont il donnait à la ronde de fortes gourmades ; d’autres le prirent par les jambes, les empoignant solidement, car on n’eût trouvé au monde mule vicieuse qui lançât de si violentes ruades. Et, à plus de quinze ensemble, le maintinrent ainsi un long temps, l’alguazil leur distribuant à tous des coups à pleines mains et frappant sur le museau de ceux qui se relâchaient.
    Pendant que ceci se passait, le seigneur mon maître était agenouillé dans sa chaire, les mains et les yeux tendus vers le ciel, et comme transporté en la divine essence ; en sorte que ni les plaintes, ni le bruit, ni les clameurs qui remplissaient l’église n’étaient capables de le tirer de sa pieuse contemplation. Enfin ces bonnes gens s’approchèrent de lui, et, l’appelant, le réveillèrent et le supplièrent de secourir ce pauvre homme qui se mourait, sans tenir compte de ce qui s’était passé ni de ses mauvaises paroles, puisqu’il en avait déjà reçu le payement ; et
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