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VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS

VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS

Titel: VIE DE LAZARILLE DE TORMÈS
Autoren: Anonyme
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compère, Frate Mariano, qu’il déguise en dominicain, et commence avec lui une tournée en pays dévot, comptant, sans trop de frais, y triompher de la crédulité des bonnes gens. À Sorrente, où une tempête l’oblige à débarquer, il obtient de l’évêque du lieu l’autorisation d’exhiber ses fausses reliques et de prêcher au peuple dans la cathédrale. Après avoir fait signe à son compère, Frère Girolamo entre donc à l’église, monte en chaire et y débite son sermon. « Or, tandis qu’il narrait les vertus du saint, dit Massuccio, voici que d’un coin de l’église Frère Mariano da Saona, s’étant avec difficulté fait jour au travers de la foule, s’avance en criant vers le frère Girolamo, et en cette forme commence à parler : « Oh ! vil ribaud, fainéant et imposteur devant Dieu et les hommes ! n’as-tu point de honte de dire si grande et énorme menterie, que ceci est le bras de saint Luc, quand je sais certainement que son corps sacré est intact à Padoue ? Cet os carié, tu as dû le prendre dans quelque sépulture pour tromper les gens, et je m’étonne grandement que Monseigneur et les autres vénérables pères de cette église ne te fassent point lapider comme tu le mérites. » L’archevêque et le peuple, fort ébahis de telle nouveauté, le réprimandant, lui dirent de se taire ; mais lui, malgré tout, ne cessait de crier, et, avec plus grande ferveur que devant, exhortait le peuple à ne point ajouter foi au prêcheur. Alors Frère Girolamo, sentant le moment venu d’opérer le faux miracle qu’il avait préparé, affecta quelque trouble, de la main demanda au peuple qui murmurait de faire silence, et l’ayant obtenu, se tourna vers le maître autel, s’agenouilla devant le crucifix qui y était pendu, et les larmes dans la voix, commença à dire : « Jésus-Christ, mon Seigneur, rédempteur de l’humaine nature, Dieu et homme, toi qui m’as formé et fait à ton image et qui par les mérites de ton très glorieux corps, m’as conduit ici, et qui par ton immaculée chair humaine et avec très amère passion m’as racheté, je te supplie, par les miraculeux stigmates que tu as donnés à notre séraphique François, de vouloir montrer un miracle évident aux yeux de ce très dévot peuple en la personne de cet honnête religieux, qui, comme ennemi et émule de notre ordre, est venu contester ma vérité ; et qu’il ait lieu en cette forme : que si je dis mensonge, tu me frappes soudain de ta colère et me fasses mourir ici même, et que si, au contraire, je dis la vérité en affirmant que ce bras est celui de messire saint Luc, ton très digne chancelier, oh alors ! mon Seigneur, fais, non point par vengeance, mais pour le bien de la vérité, que ta sentence tombe sur celui-ci, de telle manière qu’il ne puisse, ni avec sa langue, ni avec ses mains, confesser sa faute. » À peine avait-il terminé sa conjuration, que Frère Mariano, comme c’était convenu entre eux, commença à tordre ses mains et ses pieds, à hurler, à balbutier de la langue, sans réussir à prononcer une parole, à tourner ses yeux, contracter sa bouche et raidir tous ses membres, et finalement à se laisser choir en arrière. Le miracle rendu ainsi manifeste aux assistants, tous ensemble se mirent à crier si fort miséricorde, que s’il eût tonné en ce moment, nul ne s’en serait aperçu. Frère Girolamo, voyant le peuple surexcité comme il le voulait, pour l’enflammer davantage, commença à crier : « Loué soit Dieu ! Silence, mes frères ! » Et chacun s’étant tu, il fit prendre Frère Mariano, qui singeait le mort, et l’ayant fait porter devant l’autel, dit ceci : « Messieurs et mesdames, et vous gens de cette contrée, je vous prie, par la vertu de la sainte passion du Christ, de vous agenouiller tous et de dire dévotement un Pater en l’honneur de messire saint Luc, pour les mérites duquel Dieu veuille, non seulement rappeler à la vie ce malheureux, mais lui rendre l’usage de ses membres et de sa parole, afin que son âme n’aille point dans l’éternelle perdition. » Au commandement du frère, chacun se mit à prier, et lui étant descendu de la chaire et ayant avec un couteau rogné un morceau de l’ongle de la miraculeuse main, qu’il mit dans un vase d’eau bénite, il ouvrit la bouche du frère Mariano, y fit couler la précieuse liqueur et dit : « Au nom du Saint-Esprit, je te commande de te lever et de
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