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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane
Autoren: Maurice Denuzière
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visites reçues ou rendues. Ce qu'écrivait Camille ressemblait à une réunion de salon. C'était doucereux comme les bonbons qu'on y suce, fade comme le thé qu'on y boit, sec comme les vieux petits fours qu'on y croque.
     
    Quelquefois, à l'âge de sa philosophie, Jean-Louis s'était posé la question de savoir si sa mère était heureuse. Un soir, alors que son père voyageait à l'étranger, il le lui avait demandé.
     
    « Drôle de question », avait-elle remarqué tout d'abord.
     
    Puis elle avait ajouté : « À ton âge, le bonheur est encore un but, le moment est court où il est un état et, très vite, il devient un souvenir... Mon bonheur à moi, c'est de vous savoir tous sans ennuis et en bonne santé. »
     
    Jean-Louis n'avait pas été satisfait de cette réponse, mais il n'avait pas osé poursuivre une telle discussion. C'est ainsi qu'on n'avait jamais plus mis en cause le bonheur des uns et des autres chez les Malterre. Sous le toit des Cèdres, le bonheur était devenu l'absence de questions.
     
    Agnès qui était belle, pour avoir reçu de sa mère la finesse de corps et de son père le regard bleu-noir, n'avait non plus jamais exprimé son opinion sur la question. A la faculté, elle avait fait son Droit parce que Louis Malterre disait que tout le monde doit avoir un métier, en connaître assez pour se débrouiller seul. « On se voit plusieurs fois dans la vie, disait-il, utilisant à dessein ce jargon local, il faut prévoir les changements de fortune. »
     
    Elle avait eu des flirts : un jeune magistrat l'avait même demandée en mariage. Il avait été éconduit et les quelques garçons qui avaient, un soir ou l'autre, raccompagné Agnès jusqu'à la grille des Cèdres ne pouvaient se vanter d'avoir obtenu plus qu'un baiser distrait.
     
    « Sais-tu ce que m'a dit ta sœur ? avait raconté un jour à Jean-Louis un de ses camarades qui avait eu un petit flirt avec Agnès. Elle m'a dit qu'elle flirte pour faire comme les autres, mais qu'elle ne trouve que peu de charme à cette occupation. » « C'est rassurant », avait répondu Jean-Louis. « Oui, mais elle a ajouté que le jour où elle rencontrera un homme qu'elle aimera – ce qui, affirme-t-elle, ne doit pas être possible avant la trentaine -, elle se donnera corps et âme sans se soucier de savoir si l'homme en sera digne, s'il sera libre ou marié. » Et le garçon avait ajouté une phrase qui avait beaucoup fait rêver Jean-Louis : « Agnès, c'est une Pasionaria qui attend sa passion. » À la mort de son père, Agnès ne l'avait pas encore rencontrée.
     
    Il y avait longtemps qu'elle ne flirtait plus. Elle avait su décourager tous les fiancés possibles, n'acceptant jamais un rendez-vous, ne répondant jamais aux lettres à allure de déclaration, décourageant d'un regard le moindre épanchement affectueux.
     
    Dans les bals, elle n'accordait jamais deux danses de suite au même cavalier et détruisait d'une réflexion sèche, avec un humour ironique, toutes les conversations où l'on menaçait de parler amour. Elle ne lisait pas de romans et pouvait entendre en marquant le même intérêt du Ravel ou du Sidney Bechet.
     
    « Ta sœur ressemble à une panne de courant », avait plaisanté un jour Louis Malterre en s'adressant à son fils.
     

3.
     
    Les choses allèrent ainsi jusqu'en décembre. Jean-Louis, ayant obtenu une importante commande de la Défense nationale, eut à cette époque à se rendre à Paris. Il descendit dans un hôtel du boulevard Haussmann où son père avait coutume de loger pendant ses séjours dans la capitale. Il faisait un froid sec et la ville encombrée lui avait donné la migraine.
     
    Le soir venu, il s'en fut rôder derrière la Madeleine, vers la rue Tronchet où, dans un bar américain, il avait déjà rencontré quelques entraîneuses. La première fois qu'il avait accompagné Louis Malterre à Paris, il était venu chercher là quelques heures de plaisir. Les ébats étaient coûteux, mais les filles qui opéraient dans ce quartier étaient jolies, certaines même étaient une compagnie acceptable pour une soirée.
     
    Quand son père sortait seul pour un dîner ou une réunion importante, Jean-Louis allait retrouver Arlette ou Marianna. Elles le reconnaissaient toujours d'un voyage à l'autre et le traitaient plus en ami qu'en client.
     
    Marianna surtout lui confiait ses ennuis, les difficultés qu'elle avait avec sa mère, une douce folle qui dilapidait l'argent, et
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