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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali
Autoren: Gil Courtemanche
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élevé la voix et il m’a frappée.
     
    Doux avenir, cet œil crevé c’est moi
    Ce ventre ouvert et ces nerfs en lambeaux
    C’est moi, sujet des vers et des corbeaux {16}
     
    19 avril
    Je suis en terre au lieu d’être sur terre {17}
     
    Bernard, je te parle et je te vois m’écouter. Je sais que tu ne m’en veux pas d’avoir cherché le plaisir dans la douleur. Mais je n’arrive pas à les guider vers les chemins que tu m’as fait découvrir. Ils ne m’entendent pas. Je ne parle pas leur langue. Je ne vis pas sur la même planète. Je sais qu’ils me tueront quand je puerai de toutes les odeurs de leurs sexes pourris. Si je ne peux tirer aucun plaisir de cette lente marche vers la mort, aussi bien fuir dans le soleil et mourir d’un seul coup de machette. Dans quelques minutes, je vais partir de cette maison avec ce cahier et Éluard, plus libre que je n’ai jamais pensé l’être, car maintenant, Bernard, je suis morte.
     
    Nous ne vieillirons pas ensemble
    Voici le jour
    En trop   : le temps déborde
    Mon amour si léger prend le poids d’un supplice {18}
     
    *  *  *
     
    Gentille sortit du réduit où on l’avait confinée pour découvrir la maison vide.
    Après avoir marché quelques minutes dans le quartier de Sodoma où vivait Modeste, Gentille vit une barrière tenue par quelques miliciens hilares. Elle n’avait plus la force de marcher. Elle s’assit au milieu de la route de terre, puis s’allongea, remontant sa robe et écartant les jambes pour accueillir la dernière honte. C’est là qu’elle mourrait. Mais Gentille n’avait plus cette beauté qui, dix jours auparavant, avait rendu les hommes fous de désir. Elle n’était plus qu’une bête tuméfiée. Les deux miliciens qui s’avancèrent la regardèrent avec dégoût. Le plus jeune, qui ne devait pas avoir plus de seize ans, se pencha et déchira son chemisier, puis arracha son soutien-gorge. Seuls ses seins avaient été épargnés. Ils se dressaient, pointus et fermes, comme une accusation et une contradiction. Le jeune garçon donna deux rapides coups de machette et les seins de Gentille s’ouvrirent comme des grenades rouges. Ils la traînèrent et la laissèrent le long de la route. La mère d’Émérita, qui n’avait pas cessé de faire marcher son bordel à quelques mètres de là, l’entendit agoniser dans les grandes herbes et la porta jusque dans une des petites chambres au crépi vert. Dans une autre chambre, la matrone cachait le docteur Jean-Marie, qui s’occupait avec respect et affection de toutes les filles du quartier. C’était un bon Tutsi. Avec les quelques pansements qui lui restaient et du fil ordinaire, le médecin tenta de réparer les dégâts, mais il ne donnait à Gentille que peu de temps à vivre. La fièvre la faisait frissonner, elle était secouée par une toux terrible et il ne lui restait plus que des aspirines. La mère d’Émérita lut le nom de Valcourt sur la page de garde des Œuvres de Paul Éluard. Elle déchira le feuillet, le mit dans une enveloppe et envoya un des jeunes miliciens de la barrière chercher Victor, l’ami de Valcourt. Gentille et Victor eurent une longue conversation et elle lui remit le cahier rose. Il s’agenouilla, il pria longuement au chevet de la jeune femme et rentra au Mille-Collines. Gentille était morte.

15
    Plus tard dans la soirée, Valcourt descendit chez Victor en compagnie de Zozo. De la bière était arrivée d’Ouganda et du bœuf. Les exilés de 1963 et de 1972 ou leurs enfants revenaient en masse. Les plus riches arrivaient à bord de camions pleins de denrées et s’installaient dans les commerces abandonnés, sans se soucier d’un éventuel retour de leurs propriétaires. Quant aux paysans, pasteurs traditionnels, ils revenaient avec leurs troupeaux qui ravageaient les quelques champs qui n’avaient pas été récoltés. Tous ces gens parlaient anglais et se comportaient comme s’ils n’avaient jamais quitté le pays, qui de nouveau leur appartenait. Il y avait de la place. La BBC disait qu’ils étaient près de deux millions de Hutus à avoir fui l’avance fulgurante des troupes tutsies jusqu’au Zaïre. Cinq cent mille en Tanzanie, et l’on évaluait le nombre de morts à près d’un million. La moitié des habitants du pays avait disparu, morte ou exilée. Deux mois pour vider un pays.
    Victor avait invité tous les rescapés qu’il connaissait. Tous ces gens avaient été sauvés par des Hutus qui
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