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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali
Autoren: Gil Courtemanche
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qui pointent et frissonnent tant le sang bouillonne ? Bernard, je te l’avoue, j’aime le sexe, le « cul » comme tu dis quand tu joues à l’homme détaché. Chaque fois que la porte s’ouvre et que Modeste apparaît, il m’enfourche comme une botte de foin. Je ne suis plus humaine. Je n’ai plus de nom, encore moins d’âme. Je suis une chose, même pas un chien qu’on flatte ou une chèvre qu’on protège et puis qu’on mange avec appétit. Je suis un vagin. Je suis un trou. Éluard, cher Éluard, heureusement que je t’ai pour savoir que je ne suis pas seule et pour dire ce que je vis.
     
    16 avril
    Modeste m’a demandé pourquoi tous les Tutsis se pensaient supérieurs aux Hutus et pourquoi ils voulaient les éliminer de la terre. Personne ne croit que je suis hutue. Je ne sais pas quoi répondre à ces questions imbéciles. Il m’a expliqué qu’il n’aimait pas tuer mais qu’il n’avait pas le choix. Ou il tuait les ennemis et leurs amis, ou il serait tué. Voilà, c’est simple dans son esprit. Il a peur de mourir, alors il tue, il tue pour vivre. Il a beaucoup tué aujourd’hui. Il semble satisfait de son travail. Avec des miliciens, il a fait une rafle à l’église de la Sainte-Famille. Malgré les curés qui protestaient, ils ont éliminé une trentaine de cafards. C’est ainsi qu’il les nomme. Il ne dit jamais « Tutsi ». Il m’a demandé si je saignais encore, je lui ai dit oui. Il ne veut pas d’un trou qui saigne. J’ai eu envie de lui dire que j’avais des seins, des mains et une bouche qui pourraient lui donner autant de plaisir que mon petit trou sanglant. Je ne l’ai pas fait. Mais je sais que je vais le faire. Il faut que je prenne du plaisir à mourir. Plus tard, sa femme est venue. Elle n’est pas méchante. L’enfant ne peut vivre ici, m’a-t-elle dit. Sa sœur, qui est stérile et malheureuse, s’occupera d’Émérita. La petite est partie après m’avoir fait une bise sur la joue. Je touche ma joue comme pour la retrouver. Je n’ai plus de mari, je n’ai plus d’enfant.
     
    Nous n’avons rien semé qui n’est pas ravagé
     
    17 avril
    Dimanche, cela fait une semaine que je suis mariée. Il semble qu’on ne tue pas le dimanche. La maison était pleine de parents et d’amis qui causaient joyeusement. J’entendais les voisins qui riaient et s’interpellaient de maison en maison. Modeste est venu, l’air un peu penaud. Sa femme croit qu’il est amoureux de moi et il faut lui prouver le contraire, et puis il y a aussi des miliciens qui disent qu’il protège une putain tutsie et se la garde pour lui. Il doit leur prouver le contraire à eux aussi. Il a ouvert la porte et ils sont tous entrés, sa femme la première, qui m’a craché au visage. Ils ne m’ont même pas demandé de me dévêtir. Ils savent que je suis belle, mais cela ne les intéresse pas. Ils ne veulent pas regarder, ils veulent percer. Le premier était énorme et complètement soûl. Il m’a soulevée d’un seul bras et m’a couchée sur la petite table, pour que mes jambes pendent et qu’il puisse rester debout, sans jamais se pencher sur moi. « Elles sont sales, les Tutsies, il faut les laver. » Et il a fait pénétrer sa bouteille de bière dans mon vagin, ce qui a provoqué un immense éclat de rire. J’ai arrêté de compter à dix. Je regardais Modeste qui regardait. Aucun n’a baissé son pantalon, personne ne m’a touchée, mais tous, ils me regardaient pendant qu’ils s’escrimaient et forçaient et éjaculaient. Modeste s’est présenté le dernier. Il ne pouvait pas bander. Tout le monde a ri de lui. Je suis fatiguée et je suis maintenant certaine que je vais mourir.
     
    18 avril
    Modeste est entré avec une tasse de café et un morceau de pain. Il s’est excusé, mais il fallait que je le comprenne. S’il ne m’avait pas donnée, des choses pires auraient pu m’arriver. Il m’a sauvé la vie et il veut que je lui sois reconnaissante. Des choses pires ? Oui, par exemple avoir les seins coupés à la machette, le front fendu, les mains sectionnées, et être laissée là comme on a fait avec toutes les autres. Comme il a fait avec tous les autres, tous les ennemis. Je suis vivante et il voulait que je lui dise merci. Dans quelques jours, tous les Tutsis seront morts. Alors je lui ai dit que j’étais encore plus morte que les cadavres, que je sentais ma mort puante qui sortait de mes entrailles par tous mes pores. Je crois que j’ai
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