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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali
Autoren: Gil Courtemanche
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main, Valcourt monta à la chambre 313. Le lit n’y était plus. Il s’allongea sur le balcon pour écouter le silence que froissaient à peine de rares aboiements. Nul cri, nul rire, aucun son humain, sinon parfois celui d’un moteur. Une averse et un vent chaud enveloppèrent la ville. Les oiseaux baissèrent la tête et refermèrent encore plus leurs ailes. Valcourt se colla contre le mur.
    Le lendemain matin, il monta à Rundo, qu’on surnommait déjà la ville des veuves et des orphelins. Sur deux cents hommes, une cinquantaine avait survécu, dont la majorité avait fui vers le Zaïre, car c’étaient les assassins qui avaient fait toutes ces veuves et tous ces orphelins. Six cents. Les veuves hutues et tutsies s’étaient réunies et avaient décidé de se répartir les enfants abandonnés. Marie en avait recueilli trois, dont deux garçons qu’elle montrait à Valcourt. Leur père, un voisin et un bon ami, avait tué son mari. « Ils étaient très amis avec mon plus vieux… et les enfants ne sont pas responsables de nos crimes. » Il lui donna un peu d’argent. Elle lui demanda de trouver de l’aide pour reconstruire l’école. Comme Victor et Zozo, Marie lui dit que Gentille était morte, mais elle ne savait ni où, ni comment. Il repartit pour Kigali.
    Valcourt avait trouvé, dans le fouillis de l’hôtel abandonné, un matelas à peu près intact et quelques couvertures qu’il transporta sous le ficus. Dans son ancienne chambre traînaient par terre des vêtements qui lui avaient appartenu. Il les souleva et découvrit les Essais de Camus, l’autre livre qui, avec Éluard, formait toute sa bibliothèque. Les premières pages de l’édition de La Pléiade avaient été arrachées, probablement parce que le papier bible faisait du bon papier cul. Il sourit à cette pensée. Le livre débutait maintenant à la page 49 : « Ce n’est plus d’être heureux que je souhaite maintenant, mais seulement d’être conscient {14} . »
    Zozo arriva pendant qu’il lisait. Il apportait dans une petite gamelle une soupe piquante, un poulet rôti et deux bouteilles de champagne. Zozo raconta la mort de toute sa famille. Il connaissait les blessures de chacun et le nom de tous les assassins. Une cousine avait survécu. Il l’avait aidée et ils allaient se marier dans sa paroisse natale de Nyamata. Un autre petit miracle, disait Zozo. Lui, Béatrice, sa future femme, Victor et plusieurs autres qui avaient été sauvés par des Hutus. Valcourt revit le toit de l’église percée de mille étoiles meurtrières.
    — Je resterai jusqu’à ton mariage.
    — Il ne faut pas… Victor m’a demandé de vous donner ça. On le lui a remis l’autre jour, juste après votre départ.
    C’était un cahier d’écolier, comme Valcourt en avait eu un au primaire, il y avait près de cinquante ans. Une couverture bleue, une cinquantaine de pages avec un trait rose pour indiquer la marge et de fines lignes bleues. Sur les trois lignes du bas, un titre : « Histoire de Gentille après son mariage ». Les mots s’alignaient sagement comme une fine dentelle, faite de boucles élancées et de courbes régulières. Il reconnaissait cette écriture. C’était celle de sa mère et de ses quatre sœurs, cette graphie éthérée et fragile qu’enseignaient les religieuses québécoises et qui était devenue celle de toutes les jeunes Rwandaises qui, comme Gentille, avaient fréquenté l’École de service social de Butare. Il pouvait imaginer les étoiles brillantes, rouges, vertes ou bleues, et les chérubins rosés et blonds que les sœurs collaient pour souligner la qualité du travail. Pour écrire aussi gracieusement, il fallait s’exécuter patiemment, la tête légèrement penchée, dans une forme de recueillement devant les mots qu’on traçait.

14
    11 avril
    Je ne sais pas à qui j’écris, mais je sais pourquoi. Hier, je me suis mariée avec un homme que j’aime comme jamais je n’avais pensé qu’on puisse aimer. Aujourd’hui, je suis enfermée dans une petite pièce de la maison du sergent Modeste. J’écris pour raconter la mort (car je vais mourir) d’une jeune femme ordinaire. Je n’ai pas d’idées politiques, je ne suis d’aucun parti. Je ne me connais pas d’ennemis, sauf peut-être les nombreux hommes auxquels j’ai dit non. J’ai le corps long des Tutsis et la détermination paysanne des Hutus. Je me regarde et je sais que je fais un heureux mélange. Et si tous les sangs
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