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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali
Autoren: Gil Courtemanche
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n’avaient pas hésité à courir les pires dangers pour les cacher. Il souhaitait que Valcourt recueille ces témoignages et en fasse un film, un livre ou des articles. Il ne fallait pas oublier le génocide, lui expliqua le restaurateur, mais il ne fallait pas non plus transformer tous les Hutus en démons. Un jour, on devrait bien réapprendre à vivre ensemble. Jusqu’au milieu de la nuit, ils racontèrent leur histoire, pendant que Valcourt prenait des notes et que les invités silencieux engouffraient le bœuf et la bière d’Ouganda.
    Puis, quand ils furent seuls, Valcourt demanda à Victor s’il avait vu le cadavre de Gentille, s’il savait où et comment elle était morte, et qui l’avait tuée.
    — C’est la mère d’Émérita qui a vu son cadavre et qui a retrouvé le cahier. C’est tout ce que je sais. Pourquoi veux-tu en apprendre plus ?
    — Les morts ont le droit de vivre, Victor.
    Il devait terminer le cahier interrompu, remplir de mots les dernières pages vierges, reconstruire les dernières heures, les derniers jours.
    — Victor, il faut que je retrouve Modeste, sa femme, sa famille, les miliciens de la barrière. Tu veux m’aider ? Et il faut que je retrouve la petite aussi.
    — Tu veux te venger ?
    Valcourt haussa les épaules, presque en souriant.
    — Non, pas du tout. Me venger de qui ? De Modeste ? C’est le travail de la police et des tribunaux, quand il y en aura. Est-il seulement coupable ? Me venger de l’Histoire, des curés belges qui ont semé ici les graines d’une sorte de nazisme tropical, de la France, du Canada, des Nations unies, qui ont laissé sans dire un mot des nègres tuer d’autres nègres ? Ce sont eux, les véritables assassins, mais ils ne sont pas à ma portée. Non, je veux seulement savoir, et puis raconter.
    Il inspecta de fond en comble la maison déserte de Modeste et ne trouva qu’un fichu rouge, peut-être celui que Gentille portait le matin du 11 avril. Les voisins aussi avaient fui, et les voisins des voisins. La mère d’Émérita répéta mot pour mot la version de Victor. Elle croyait que Modeste et sa famille avaient pris la direction de Ruhengeri, puis probablement de Goma, au Zaïre, où s’étaient réfugiés les militaires et les dirigeants du gouvernement. Les environs de Goma étaient devenus un immense dépotoir d’humanité hagarde et souffrante. Les militaires et les miliciens, qui avaient entraîné une grande partie de la population dans leur retraite, régnaient sur une nouvelle république, celle du choléra et de la tuberculose. Ils avaient déjà recréé leur ancien monde. Ils rançonnaient les organisations humanitaires, extorquaient, violaient, tuaient. Le pouvoir qu’ils avaient perdu dans leur pays, ils l’exerçaient maintenant sur ces centaines de milliers de réfugiés qui croupissaient dans la fange de leurs excréments. Une centaine de dollars, distribués à quelques intermédiaires, menèrent Valcourt jusqu’à Modeste, qui avait été promu lieutenant par le gouvernement en exil et qui contrôlait le commerce de la bière en provenance de Kisangani. Il ne se souvenait pas de lui. C’était un bel homme qui vous regardait droit dans les yeux et qui parlait sans jamais élever la voix. Pourquoi s’intéresser à la disparition d’une seule personne, alors que tout le peuple hutu allait être éliminé par un complot anglo-saxon et protestant ? Et cela parce que tous les Blancs sauf les Français haïssaient les Hutus. Heureusement, d’ailleurs, que les Français étaient intervenus pour les sauver de l’extermination et leur permettre de se réfugier ici et de préparer leur retour victorieux. La propagande est aussi puissante que l’héroïne : elle dissout subtilement tout ce qui pense. Valcourt parlait à un héroïnomane de la parole hutue. Modeste ne connaissait pas cette Gentille et ne se rappelait pas avoir intercepté un convoi de l’ONU, le long du boulevard de l’OUA. Des femmes, de belles femmes, il en venait chez lui tous les jours pour chercher sa protection ou du plaisir. Tout le quartier de Sodoma connaissait sa vigueur sexuelle. Valcourt sortit un cahier à couverture rose du sac qu’il portait en bandoulière. « Aujourd’hui, je suis enfermée dans une petite pièce de la maison du sergent Modeste. » Il poursuivit la lecture à voix basse, mais en pesant sur chaque mot et en laissant se déployer comme des ombres de longs silences, pendant lesquels il fixait de
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