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Un caprice de Bonaparte

Un caprice de Bonaparte

Titel: Un caprice de Bonaparte
Autoren: Stefan Zweig
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forcé est légèrement sombre.
     
    Vous n’avez pas fini de raconter des âneries et de baver sur les généraux de la République ? Elle a bon dos la République, elle tiendra le coup, Dieu merci !
     
    PREMIER SOLDAT.
     
    Faut bien se soulager quelquefois, citoyen lieutenant... quand on a le cœur tout barbouillé... sinon onrisque d’attraper la jaunisse ! Je veux être pendu s’il y en a seulement quatre sur les quarante mille qui sont ici qui n’en aient déjà par-dessus la tête de cette histoire... et vous-même, citoyen lieutenant, la main sur le cœur, je parie que vous aussi vous préféreriez boitiller sur une jambe en France que courir sur deux ici, pas vrai ?
     
    FOURÈS.
     
    Mais personne ne m’a encore entendu me plaindre. Il s’agit de tenir. Et mieux vaut se servir de ses jambes sur le sable que de les avoir enterrées sous le plus beau des gazons.
     
    DESCHAMPS.
     
    Veinard... tu peux toujours parler de tenir, toi avec ta Bellilotte ! ( Se tournant vers les soldats .) C’est que le camarade Fourès n’est en Egypte que le jour. La nuit, il souffle sa chandelle et il est immédiatement au cœur de la France !
     
    (Les soldats rient.)
     
    PREMIER SOLDAT.
     
    Oui, citoyen lieutenant, nous aussi on serait plus gaillards si le général, au lieu de ces veaux à bésicles de l’Académie, avait embarqué une femme pour chacun de nous. Mais ces chèvres brunes d’ici, parlons-en !... Rien que de les sentir, on en a la nausée....
     
    DESCHAMPS.
     
    Ecoute, Fourès, je souhaite qu’une fois, une seule, tu trouves pour ton dessert une de ces nymphes du Nildans ton lit – à la place de ta Bellilotte – et je parie qu’alors tu baverais avec nous !
     
    FOURÈS, de bonne humeur.
     
    A vous entendre, on croirait que vous jalousez un vieux camarade d’avoir sa femme avec lui !
     
    DESCHAMPS.
     
    Voyons, Fourès !
     
    FOURÈS.
     
    Ce n’est pas que je ne saurais le comprendre si, en effet, vous m’en vouliez quelquefois... Après tout, nous sommes tous du même bois... un homme c’est un homme... et moi je suis le seul à me la couler douce auprès d’une jeune femme. A dire vrai, j’en suis parfois gêné...
     
    DESCHAMPS.
     
    Bêtises que tout ça ! Il ne viendrait à l’idée de personne de jalouser un brave type comme toi... et encore moins quand il s’agit de la Bellilotte ! c’est qu’elle n’est pas seulement ta femme, elle est aussi notre camarade à tous...
     
    PREMIER SOLDAT.
     
    Et un fameux camarade avec ça ! Et qui n’a pas son pareil !
     
    FOURÈS.
     
    Mais si, mais si. Il y en aura une pour chacun de vous lorsque nous retournerons en France !

     
    PREMIER SOLDAT.
     
    Pourvu qu’on soit vivant ce jour-là ! Moi, tout ce que je sais, c’est qu’il ne nous poussera pas d’ailes au cul pour prendre notre vol et qu’il n’y aura jamais personne pour nous tirer de ce sale bled !
     
    FOURÈS.
     
    Et Bonaparte ? Je vous dis, moi, qu’il finira par nous sortir d’ici, malgré les Anglais, – dût-il pour cela nous faire passer par les Indes ou par la Corne d’Or, Dieu sait comment il s’y prendra ! Mais je vous le jure, il nous sortira de cette saloperie comme il nous a sortis autrefois déjà d’Italie... Et après coup, vous serez tous fiers comme Artaban !
     
    DEUXIEME SOLDAT.
     
    Oui, après coup ! Pourvu qu’on s’en sorte !
     
    (On entend du bruit derrière la scène.)
     
    PREMIER SOLDAT.
     
    Ah ! c’est la Bellilotte qui arrive !
     
    BELLILOTTE entre et avance rapidement, poussant devant elle deux indigènes lourdement chargés. Derrière elle, deux soldats qui rient malicieusement. Bellilotte est jeune et fraîche : on sent à sa façon de s’exprimer, à ses allures naturelles et dégagées, qu’elle est fille du peuple.
     
    Là, posez là vos fardeaux.

     
    FOURÈS.
     
    Que traînes-tu donc encore avec toi ?
     
    BELLILOTTE.
     
    Du ravitaillement... de contrebande. Réquisitionné par moi-même, avec le concours de Ferrand et de Jacquet. ( S’adressant à Deschamps. ) Pardonne-moi de marcher sur tes plates-bandes...
     
    DESCHAMPS.
     
    Je t’en dirai plutôt merci, ma petite Bellilotte ! Mais comment t’y es-tu prise pour dénicher ça ?
     
    BELLILOTTE.
     
    Le hasard... et aussi mon bon nez... J’étais au bord du Nil, en train de surveiller les blanchisseuses pour que vos chemises soient bien lavées, quand tout à coup j’aperçois un caïque qui tourne, hésite, n’ose pas
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