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Un caprice de Bonaparte

Un caprice de Bonaparte

Titel: Un caprice de Bonaparte
Autoren: Stefan Zweig
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aujourd’ hui...
     
    PREMIER SOLDAT.
     
    Ici, à la place d’honneur, le lieutenant Fourès ! En face, le lieutenant Deschamps. Et, bien entendu, Bellilotte au milieu !
     
    DEUXIEME SOLDAT.
     
    Mais ici, à droite c’est moi, je veux être à côté d’elle...
     
    PREMIER SOLDAT.
     
    Toi, tu lui ferais passer l’envie de manger...
     
    DEUXIEME SOLDAT.
     
    Et toi alors, avec ta barbe hirsute ? Tu te crois appétissant, peut-être ? Allons, va-t’en !
     
    (Ils se disputent la place en riant.)
     
    DESCHAMPS, à Fourès.
     
    Regarde-moi ces gaillards comme ils sont gais. On ne dirait pas ceux de tout à l’heure ! En vérité, ta Bellilotte s’y entend !

     
    BELLILOTTE s’approche de la table.
     
    Attention ! Chacun à sa place et le bec grand ouvert : la boustifaille arrive.
     
    SOLDATS.
     
    Hourra et d’avance nos compliments ! Levons le verre à la santé de Bellilotte !
     
    (Bruyamment ils se serrent autour de la table et attendent.)
    (Pendant ce temps entrent par l’avant-cour, tout à fait sombre, le général Bonaparte, accompagné du général Dupuy, commandant du Caire. Ils se dirigent vers l’escalier conduisant au quartier général. Soudain, le regard de Bonaparte tombe sur la table éclairée. Il s’arrête, surpris, interrogateur.)
     
    BONAPARTE. A cette époque, il est âgé de vingt-neuf ans. Il est mince, pâle et un peu raide. Ses cheveux lui couvrent le front et tombent, lourds et touffus, sur la nuque. Dans sa tenue, de campagne, simple et républicaine, il se distingue à peine des autres officiers. Un léger sourire aux lèvres, il regarde l’animation extraordinaire des hommes, puis il interroge avec bonne humeur :
     
    Qu’est-ce qui se passe, mes enfants ? Quel saint fêtez-vous avec tant de vin et de lumières ?
     
    (Pendant ce temps, tout le monde s’est levé, dans une attitude respectueuse, mais dépourvue de raideur.)

     
    DESCHAMPS.
     
    C’est la fête de notre camarade, le lieutenant Fourès !
     
    PREMIER SOLDAT.
     
    Et la citoyenne Fourès nous a fait des crêpes...
     
    DEUXIEME SOLDAT.
     
    Et le lieutenant Deschamps nous offre du vin.
     
    (Bellilotte arrive de la cuisine. Elle porte un grand plat de crêpes qu’elle dépose sur la table, sans avoir remarqué — dans la pénombre – la présence du général Bonaparte.)
     
    BELLILOTTE.
     
    Attention, les gars ! N’avalez pas trop chaud... Faut pas engloutir ça comme du pain de munition ! Il s’agit de déguster et de savourer chaque bouchée comme un baiser ! et maintenant, à chacun sa part... ( Elle dépose le plat et partage. ) Pour toi la plus grosse, parce que tu es le plus maigre. Et pour toi la plus brune, parce que tu es toujours derrière les femelles brunes... Toi, François, tu seras servi le dernier, pour te punir d’être à la place d’honneur comme si tu étais vraiment le colonel... ( Elle continue à servir, puis, soudain, avec étonnement. ) Mais qu’avez-vous donc ? Pourquoi ne vous asseyez-vous pas au lieu de rester plantés comme des perches ? Auriez-vous... ( A ce moment elle aperçoit Bonaparte qui la regarde en souriant. Elle est tout interloquée et la parole lui reste dans la gorge. ) Oh, mon Dieu !...

     
    BONAPARTE, qui la dévisage avec un plaisir évident.
     
    C’est juste, ne faites pas de manières... Asseyez-vous et régalez-vous. Pour un peu je ferais comme vous, tellement ces crêpes sont alléchantes !
     
    DESCHAMPS.
     
    Vous nous honoreriez, citoyen général, si vous vous laissiez tenter.
     
    BONAPARTE.
     
    Eh bien ! allons-y... Des crêpes comme celles-ci je n’en ai plus mangé depuis Brienne. Malheureusement, on ne nous en donnait qu’à l’anniversaire du roi... ( On lui a passé une assiette, il goûte. ) Mais jamais elles n’ont été aussi bonnes ! ( Une fois de plus, son regard se pose, insistant, sur Bellilotte. Puis s’adressant à Dupuy. ) Et plus d’un vous jalouserait ce maître queux, ne croyez-vous pas, Dupuy ?
     
    DUPUY, riant.
    Sûrement !
     
    BONAPARTE.
     
    Merci, mes braves, et continuez à vous régaler. C’était délicieux. Et mes félicitations à la cuisinière.
     
    (Il part, se retourne pour regarder une dernière fois Bellilotte et murmure quelque chose à Dupuy. Ils sortent ensemble.)

    (Tous se mettent à manger avec appétit ; seule Bellilotte demeure interdite, presque immobile.)
     
    FOURÈS.
     
    Assieds-toi donc ! Mais qu’as-tu ? C’est bien rare que nos yeux
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