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Un caprice de Bonaparte

Un caprice de Bonaparte

Titel: Un caprice de Bonaparte
Autoren: Stefan Zweig
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raconter que l’histoire devient intéressante...
     
    BELLILOTTE.
     
    Soit ! mais elle ne l’a vraiment pas été tant que ça pour moi... Aujourd’hui encore rien que d’y penser j’en ai le frisson... Je venais juste de me glisser sur le pont, pour prendre un bol d’air... Oui, il était minuit et il faisait si noir qu’on ne voyait rien à deux pas : soudain, j’entends marcher derrière moi. Mon Dieu, me dis-je, voilà une patrouille ou un officier qui fait la ronde et je vais me faire pincer ! Vite, je me colle contre le bateau. Mais celui qui s’avançait m’avait déjà vue. Il m’interpelle : « combien de nœuds ? » Bien entendu je n’en ai aucune idée. « Combien de nœuds ? » répète une voix impatiente. Au même moment – j’ai cru m’évanouir de peur – je reconnais le général !

     
    MME DUPUY.
     
    Le général Bonaparte ?
     
    BELLILOTTE.
     
    Oui, lui-même ! Bouleversée, je bégaie au hasard : « Douze nœuds ! » – « Direction du vent ? » – Comment l’aurais-je su ? Dans mon effroi je réponds : « nord-est »... Il ne dit rien et passe. Je tremblais de tous mes membres : mon Dieu, si j’ai dit une bêtise et qu’il veuille savoir quel est l’idiot de matelot qui l’a si mal renseigné ! Jamais je n’ai descendu des marches à pareille allure ! Et d’entrer dans la cabine en coup de vent et de les réveiller tous ! Dieu soit loué : ma réponse était à peu près exacte, le vent était au nord-nord-est au lieu de nord-est. Mais croyez-moi, je n’ai pas cessé d’avoir peur jusqu’à Alexandrie.
     
    MME DUPUY.
     
    Et depuis lors le général ne vous a-t-il plus jamais adressé la parole ?
     
    BELLILOTTE.
     
    A moi ?... Mon Dieu, que voulez-vous qu’il dise à une femme comme moi... lui, un si grand homme ! Je l’ai aperçu souvent et François me répète chacune de ses paroles... Ils sont tous fous de lui ! Ils ne parlent que de lui et il suffit que le général regarde l’un d’entre eux pour que ses camarades en soient jaloux ! Jamais je n’aurais pu imaginer qu’un homme, un seul homme, puisse exercer un tel pouvoir sur d’autres hommes...

    (On entend un signal d’en bas, un commandement militaire. Berthier et Dupuy se regardent en souriant.)
     
    BELLILOTTE, effrayée.
     
    Qu’y a-t-il ?... Pourquoi me regardez-vous comme ça tous deux ? Ai-je dit une bêtise ?
     
    DUPUY.
     
    Une petite surprise vous attend... et je pense qu’elle sera agréable...
     
    (A ce moment une ordonnance ouvre avec précipitation la porte à deux battants pour laisser entrer Bonaparte, en petite tenue de général.)
     
    BELLILOTTE, esquisse involontairement un mouvement de retraite, puis reste immobile, comme figée au mur.
     
    BONAPARTE, à Mme Dupuy.
     
    Excusez mon retard, citoyenne. Des dépêches importantes, ces Anglais ne nous laissent pas respirer... ( Aux autres. ) Pas de façons pour moi ! Restez assis...
     
    MME DUPUY.
     
    Citoyen général, puis-je au moins vous offrir une tasse de café ?
     
    BONAPARTE.
     
    Volontiers.

     
    MME DUPUY.
     
    Et ces messieurs aussi, n’est-ce pas ?
     
    BERTHIER.
     
    Impossible, malheureusement ! Lorsque le général n’est plus de service, c’est celui de son chef d’état-major qui commence ! Nous nous relayons comme le soleil et la lune ! ( Il regarde sa montre. ) Deux heures, déjà ! Commission de remonte, Dupuy !
     
    DUPUY.
     
    Oui, hélas ! Ces dames voudront bien nous excuser : auprès du général, c’est le devoir qui nous excuse...
     
    (Tous deux sourient en parlant et il est évident que ce qu’ils viennent de dire sur le service est pur artifice. Bonaparte sourit lui aussi presque invisiblement, et plus des yeux que des lèvres. Dupuy et Berthier saluent et se retirent.)
     
    BELLILOTTE, se levant, craintive.
     
    Permettez-moi de me retirer également, citoyenne Dupuy. Je vous ai retenue trop longtemps déjà !
     
    MME DUPUY.
     
    Mais pas du tout ! C’est au contraire le moment de rester ! Le général Bonaparte est bien trop actif pour que nous autres femmes nous ayons souvent l’honneur de pouvoir bavarder avec lui. Il nous faut profiter de ce privilège rare. ( A Bonaparte. ) Je parierais que vous ne reconnaissez pas Mme Fourès... et pourtant vous luiavez parlé une fois... Oui, elle vient juste de nous en faire part ! C’est d’ailleurs une histoire vraiment amusante et il faut qu’elle vous la raconte elle-même.
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