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Un caprice de Bonaparte

Un caprice de Bonaparte

Titel: Un caprice de Bonaparte
Autoren: Stefan Zweig
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faire appel à lui, il ne renâclera jamais ! Quant à le chatouiller sur le point d’honneur, je préférerais ne pas essayer. Ecoute-moi, laisse en paix sa Bellilotte à ce pauvre diable : après tout, ce n’est pas la seule femme que tu puisses avoir.
     
    BONAPARTE.
     
    Mais c’est la seule qui me plaise, la première depuis Joséphine... Pour ce qui est de sa vertu à elle, j’en fais mon affaire... Quant à Fourès, qu’il soit d’accord ou pas, cela m’est bien égal ! Par ailleurs, on n’a pas besoin d’aller lui corner la chose aussitôt.
     
    BERTHIER.
     
    Tu veux garder un secret au grand quartier général ? Ici où les commérages courent plus vite que les punaises ? N’y compte pas ! Tu veux jouer à cache-cache toi, Bonaparte, avec le petit Fourès ?
     
    BONAPARTE, irrité.
     
    Alors qu’il aille au diable ! Il doit disparaître de mon chemin ! Ne fais pas tant d’histoires pour une affaire de femmes ! On peut se débarrasser d’un lieutenant de réserve, sans qu’il se doute de quoi que ce soit, en lui donnant une mission qui l’éloigne du Caire... Tiens, par exemple, le détachement de Mansourah ! Il va y avoir besoin d’un chef, je pense. Colle-lui-en le commandement avec le grade de capitaine et le tour est joué !

     
    BERTHIER.
     
    Et tu crois que pendant ce temps il te chargera de la nourriture... et du couchage de sa Bellilotte ? Tu peux être sûr qu’il l’emmènera à Mansourah...
     
    BONAPARTE, toujours plus impatient.
     
    Alors, expédie-le plus loin encore...
     
    BERTHIER.
     
    Plus loin ? Qu’est-ce qui est loin dans cette maudite Egypte ? Loin d’ici seule la France l’est, pour nous...
     
    BONAPARTE, s’arrête soudain de marcher.
     
    Eh bien, oui, pourquoi pas en France ? Bien sûr, c’est en France qu’il faut l’envoyer ! Et tout de suite ! Quand part l’Arethusa ?
     
    BERTHIER.
     
    Samedi. D’Alexandrie. Il lui faudra diablement se presser pour être prêt à cette date !
     
    BONAPARTE, riant doucement.
    Tant mieux !
     
    BERTHIER.
     
    Mais notre courrier est à bord depuis longtemps.
     
    BONAPARTE, toujours plus gai.
     
    Alors une mission spéciale ! Tu vois bien que tout s’arrange, à condition d’agir énergiquement ! Finiel’affaire Fourès : comme envoyé spécial à Paris nous en serons débarrassés pour un moment.
     
    BERTHIER.
     
    Pour quatre mois seulement. Ensuite, tout sera à recommencer !
     
    BONAPARTE.
     
    Quatre mois, Berthier ? A notre époque ? Ma parole, tu serais à ta place dans le Conseil de guerre aulique de Vienne qui prépare minutieusement ses plans un trimestre à l’avance !... Quatre mois, dis-tu, Berthier ? Tu oublies que quatre mois ont suffi pour faire de moi, petit officier semblable à ton Fourès, le commandant de Paris ! Souviens-toi qu’en quatre mois nous avons conquis toute l’Italie, de Gênes à Venise ! En quatre mois nous pouvons être à Jérusalem, aux Indes, ou à Constantinople... Ou bien laisser ici nos os blanchir dans le sable ! Il ne manquerait plus que ça, d’avoir à penser à un quelconque Fourès plus de cinq minutes... Celui-là, ça ne va pas traîner ( Ouvre impétueusement la fenêtre et crie dans la cour ) : Dites au lieutenant Fourès qu’il a à se présenter immédiatement au quartier général en tenue de marche !
     
    BERTHIER.
     
    Puis-je rester là... pour voir comment tu vas le rouler ?
     
    BONAPARTE.
     
    Mais tu vas avoir la bonté de prendre cette affaire en main, à ma place. C’est plus facile pour toi. Donc tuprésentes la chose rondement, énergiquement : distinction particulière, mission urgente et importante. L’essentiel : pas de tergiversations et qu’il disparaisse au plus vite !
     
    BERTHIER.
     
    Mais que faut-il lui remettre comme courrier spécial ?
     
    BONAPARTE.
     
    N’importe quelle saleté ! Ce qui te tombe sous la main ! Tiens, fais un paquet de ces vieux documents militaires inutiles : prends-en le plus possible, sinon il pourrait s’étonner qu’on lui fasse traverser la grande mare pour quelques feuillets seulement ! Voilà... ( Il suit des yeux les mouvements de Berthier. ) C’est bien, nous n’en sommes pas à une paperasse près ! Et maintenant, tu vas y apposer un grand cachet, ça lui inspirera du respect pour sa mission... Pendant ce temps j’écris à mon frère et lui demande de ne pas se presser à me renvoyer le gars... Plus tard il apprendra son infortune, mieux
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