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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer
Autoren: Gilbert Sinoué
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seule décision prise est la création d’un Comité international pour les réfugiés connu sous l’appellation « Comité d’Évian ». Le discours de clôture prononcé par Henri Bérenger souligne la portée des résultats obtenus : « La France est heureuse d’avoir pu montrer, dans le beau cadre harmonieux de la montagne et du lac, qu’elle était en mesure, par la fidélité de ses institutions républicaines et l’ordre public de sa démocratie, de recevoir toutes les nations du monde et de leur assurer, dans la plus parfaite tranquillité matérielle et morale, un asile pour les délibérations gouvernementales en vue de la paix et de l’indépendance de toutes les patries, de la liberté de tous les citoyens du monde. » Et tout ce beau monde peut, la conscience tranquille, assister aux réceptions offertes par la République française à Leurs Majestés britanniques.
    Du côté allemand, on exulte. Goebbels avait vu juste. Un grand journal de Berlin titre : «  PERSONNE N’EN VEUT  ! » Le secrétaire d’État Weizsäcker résume ainsi les résultats obtenus : « Bien que beaucoup de pays produisent des Juifs, il semble qu’aucun ne soit disposé à en consommer ! » Deux mois plus tard, Hitler ironise, à Nuremberg, au cours d’un de ses fameux discours : « Ces démocraties poussent de hauts cris devant la cruauté sans bornes avec laquelle l’Allemagne tente de se débarrasser des Juifs. Tous ces grands pays démocratiques n’ont que quelques habitants au kilomètre carré, alors que l’Allemagne en a plus de cent quarante. L’Allemagne n’a cessé, des dizaines d’années durant, d’accueillir des centaines de milliers de ces Juifs. Mais aujourd’hui que le mécontentement populaire s’amplifie et que la nation allemande n’est guère disposée à se laisser exploiter plus longtemps par ces parasites, on gémit à l’étranger. Oui, on gémit. Mais cela ne veut pas dire que ces pays aient l’intention de résoudre par une action efficace le problème qu’ils posent avec hypocrisie. Bien au contraire, ils affirment le plus froidement du monde qu’il n’y a pas de place chez eux. Bref, de l’aide – non ; des leçons de morale – ça, oui ! »
     
    Telle une traînée de poudre, l’annonce du III e  Reich autorisant ceux qui le souhaitent à quitter librement l’Allemagne se propagea à travers la communauté juive. Lorsque Dan Singer en prit connaissance, il fit une chose qu’il n’avait pas faite depuis longtemps. Il se couvrit les épaules de son tallith et murmura les premiers mots du Chema Israël : Chema Israël, Adonaï Elohainu, Adonaï Ehad. « Écoute, Israël, l’Éternel notre Dieu, l’Éternel est Un. » Puis il se précipita pour annoncer la nouvelle à Ruth.
    Le lendemain, un 15 avril, il se rendit au consulat cubain, fit la queue pendant des heures, paya la somme de neuf cents dollars en échange de six visas d’entrée, deux pour lui et Ruth, et quatre pour sa fille Judith, son époux et leurs deux enfants. Soit cent cinquante dollars par personne [8] . Ensuite, il consacra les trois jours qui suivirent à trouver une agence de voyage. Ce ne fut pas tâche aisée. La plupart des bureaux avaient été pris d’assaut et avaient vendu leur quote-part de billets. Ce fut seulement dans la première semaine de mai que la Fortune lui sourit. L’un de ses anciens patients lui indiqua l’adresse d’une agence située dans la banlieue berlinoise. Son frère en était le directeur. C’est ainsi qu’il réussit à acquérir six billets de première classe aller-retour. C’était la condition sine qua non imposée aux futurs voyageurs « en cas de circonstances indépendantes de la volonté de la compagnie maritime Hapag ». Il était temps. Nous étions le 2 mai. Il n’y avait plus un seul billet à vendre dans toute l’Allemagne. En rentrant chez lui, Dan calcula la somme qui lui restait pour payer le train à destination du port de Hambourg et pour vivre : à peine de quoi tenir jusqu’au jour du départ prévu pour le 13 mai. De toute façon, le règlement était sans équivoque : les voyageurs n’étaient pas autorisés à emporter plus de dix Reichsmarks par personne, et deux cent trente Reichsmarks d’« argent de poche » qu’ils étaient obligés de dépenser à bord.
    C’est en posant les billets sur la table de l’entrée qu’il lut pour la première fois le nom du navire qui allait les emmener au bout
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