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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer
Autoren: Gilbert Sinoué
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Jamais son audience n’avait atteint un tel sommet. Son discours ne fut pas seulement entendu dans toute l’Allemagne et dans certaines parties de l’Europe, mais radiodiffusé par les principales stations de radio des États-Unis. Il était bien loin, le temps de Vienne où l’artiste peintre, rejeté par les Beaux-Arts, donnait des conférences à qui voulait bien l’écouter. À l’époque, rares étaient ceux qui faisaient cas de ses diatribes. Désormais, voilà que le monde tremblait…
    3 mai 1939
    Le capitaine Gustav Schröder examina pour la troisième fois le télégramme que lui avait expédié Claus-Gotfried Holthusen, le directeur de la Hapag, la compagnie maritime propriétaire du Saint-Louis. Le mot lui était parvenu en pleine mer, alors que le Saint-Louis venait de quitter New York et faisait route vers Hambourg. Le contenu du câble intimait l’ordre à Schröder de se présenter toutes affaires cessantes, dès son arrivée, au siège de la Hapag.
    Avec un geste d’irritation, le capitaine replia le télégramme et l’enfouit dans la poche de sa veste. Il en avait par-dessus la tête de ces sempiternelles relances. Depuis quelques mois, il se sentait littéralement harcelé. Harcelé par ses supérieurs, harcelé par les autorités de ce III e  Reich pour lequel il n’éprouvait que mépris et répulsion. Harcelé aussi par la présence de ces six agents de la Geheime Staatspolizei, la Gestapo [11] , déguisés en pompiers, qu’on avait imposés à son bord pour prévenir d’éventuelles actions de sabotage. Ces chiens de garde passaient leur temps à guetter les faits et gestes des passagers (ceux de Schröder aussi, bien sûr) à la recherche d’on ne savait quel espion potentiel. Ce n’était pas tout. En héritant trois mois plus tôt du commandement du Saint-Louis , Schröder avait aussi hérité d’un personnage qu’il honnissait par-dessus tout : Otto Schiendick, steward de seconde classe et parallèlement Ortsgruppenleiter, chef de groupe local du Parti nazi. Cet individu était parvenu à faire limoger certains membres de l’équipage qui, selon lui, manifestaient une attitude contraire à la doctrine nazie. Pire encore, c’était lui qui avait été responsable de la disgrâce de Friedrich Buch, le précédent capitaine du Saint-Louis. Humilié, accusé de toutes les trahisons, Buch s’était vu débarqué, encadré par deux agents de la Gestapo. Dieu sait ce qu’il était advenu de lui. À sa manière, Schröder résistait. En refusant de porter l’insigne nazi, il témoignait non seulement de son opposition à Schiendick, mais aussi de sa volonté de démontrer que lui, Schröder, demeurait seul maître à bord. En réalité, il n’y avait pas que leurs divergences politiques qui séparaient les deux hommes : tout les opposait. Schröder faisait partie de cette génération en voie de disparition pour qui l’éthique, le sens de l’honneur et la courtoisie faisaient encore partie des qualités essentielles de l’homme. Otto Schiendick n’était qu’un rustre, dépourvu de manières. L’un demeurait imprégné des traditions du XVII e  siècle, l’autre dérivait dans le XX e . Schiendick s’exprimait avec vulgarité ; Schröder conservait en toute occasion une qualité de langage proche de la préciosité, d’où le surnom de « Comte sur le pont » dont certains de ses collègues l’avaient affublé. Il n’était pas grand, 1,60 m environ. Pas un pouce de graisse. Un visage oblong orné d’une petite moustache grise. Sec comme un sarment. L’œil bleu, presque métallique. Un physique qui correspondait en tout point à ce qu’il était : un personnage volontaire et énergique [12] .
    D’après le témoignage de Karl Glissmann, l’un des marins du Saint-Louis :
    « Il n’avait pas le genre classique d’un capitaine, tel qu’on aurait pu se l’imaginer, un homme grand et corpulent, à la voix de basse. Il dégageait un air d’honnêteté sous son allure de professeur. C’est vraiment ce qu’il était avec ses bonnes manières. Jamais un juron, jamais une remarque déplacée ou méchante. [13]  »
    Arrivé devant l’entrée de la Hapag, Schröder leva machinalement la tête vers l’édifice. Il aimait cette compagnie. Il l’aimait sans doute parce que, comme lui-même, elle appartenait à un autre siècle. Il savait son histoire par cœur. En 1847, la Hamburg-Amerikanische Packetfahr-Actien-Gesellschaft (Hapag) avait été
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