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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple
Autoren: François-Henri Désérable
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moi. Mais le
plus cruel d’entre tous, celui dont la saillie me toucha
en plein cœur, fut ce sodomite de Rivarol : sous sa
plume, dans sa bouche, je n’étais plus désigné que
sous l’infamant sobriquet de frère d’Abel Chénier . Romeavait eu Romulus et Remus, l’Égypte Seth et Osiris, la
Grèce Étéocle et Polynice. À chaque époque son Abel,
à chaque pays son Caïn : dans la France post-an II,
vous incarniez aux yeux de tous la figure de l’Abel, et
moi, par antiphrase, celle du Caïn.

    Seul Barère, dont je fus pourtant l’un des plus cruels
ennemis, eut le courage de prendre ma défense. Il dit à
qui voulait l’entendre qu’il m’avait vu pleurer amèrement votre mort et que, loin d’y avoir contribué, j’avais
au contraire fait des démarches personnelles pour vous
dérober au supplice. Mais la meute, elle, ne me lâchait
pas. Elle était à mes basques, elle tenait sa proie. Je
n’osais plus sortir. Je pensais même me brûler la cervelle, laver mon honneur par le sang. J’imaginais le
coup de pistolet retentir comme un cri, le cri de mon
innocence. Mais ce n’était pas dans ma nature d’abandonner. Je saisi ma plume et composai une Épître sur la
calomnie  :

                Ô mon frère, je veux, relisant tes écrits,

                    Chanter l’hymne funèbre à tes mânes proscrits.

                    Là, souvent tu verras près de ton mausolée,

                    Tes frères gémissants, ta mère désolée,

                    Quelques amis des arts, un peu d’ombre et des fleurs,

                    Et ton jeune laurier grandira sous mes pleurs.

    J’y déplorai votre mort – ce qui était vrai – et m’engageai à consacrer le reste de ma vie au culte de votre
mémoire – ce qui l’était moins. J’en profitai par ailleurs pour régler leur compte à mes calomniateurs. À
défaut du carcan qu’ils ont trop mérité, ils subirontdans mes vers leur immortalité. Mais le mal était fait :
on m’avait attaché à la queue une poêle dont je ne
devais jamais me débarrasser.

    Aujourd’hui encore, alors que dix-sept ans ont passé,
de beaux esprits trouvent le temps de m’attaquer sournoisement, de réveiller la bête immonde, de souffler
sur les braises de la médisance pour rallumer le feu
des plus viles accusations. Je n’y prête guère attention :
la calomnie honore en croyant qu’elle outrage ; quant
aux calomniateurs, s’il leur est permis d’écrire, j’attendrai qu’un décret me condamne à les lire.

    La vérité, André, c’est que vous êtes mort par votre
faute. Seulement par votre faute. Dès le départ, vous
fûtes critique à l’égard de la Révolution, ou plutôt à
l’égard du tournant qu’elle prenait. Votre Avis au
peuple français sur ses véritables ennemis fut salué par le
roi de Pologne qui vous envoya médailles et félicitations, pendant que Camille Desmoulins remarquait :
« C’est l’ouvrage de je ne sais quel Chénier, qui n’est
pas le Chénier de Charles IX . » Plus la Révolution était
impitoyable, plus vous dénonciez ses excès : dans vos Réflexions sur l’esprit de parti , dans les Autels de la peur ,
dans le Journal de Paris ... Vous devîntes un des polémistes les plus virulents. Sous votre plume, tout le
monde, ou presque, y passait, à commencer par Carra,
Brissot et Condorcet. En février 1792, nouveau pamphlet : De la cause des désordres qui troublent la France ,
dans lequel vous compariez les Jacobins aux Jésuites
pour mieux les critiquer. Puis vous prîtes la défense du
roi, dont je votai la mort, ce qui constitua, rappelez-vous, le point de rupture entre nous deux.

    J’ai su également – les mouchards étaient partout –
que vous avez aidé cet exalté que tout le monde tenait
pour fou, ce Prussien au front large, aux yeux gris et au
nez relevé, à composer son Éloge de Charlotte Corday .
Pensait-il pouvoir nous berner, lui qui, deux semaines
plus tôt, parlait le même français qu’un paysan illettré ?
Allons, André, tout le monde se doutait que c’est à
vous qu’il devait cette inspiration aussi divine qu’inattendue. Vous-même, de votre côté, aviez célébré l’assassin de Marat dans une Ode :

                Je ne veux point t’honorer en silence,

                    Toi qui crus par ta mort ressusciter la
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