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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple
Autoren: François-Henri Désérable
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France

                    Et dévouas tes jours à punir des forfaits.

                    Le glaive arma ton bras, fille grande et sublime,

                    Pour faire honte aux dieux, pour réparer leur crime,

                    Quand d’un homme à ce monstre ils donnèrent les traits.

    Vous n’avez jamais écrit que sous la dictée de votre
conscience – ou, plutôt, de votre inconscience. Car il
fallait être suicidaire pour honorer la mémoire de
Corday quand la France pleurait encore les mânes de
Marat ! Enfin, André, vous saviez pourtant qu’on se faisait guillotiner pour moins que ça ! J’ai vu une vieille
femme enfermée à Sainte-Pélagie parce qu’elle avait
loué Mirabeau après la découverte de l’armoire de fer,
un gamin d’à peine seize ans se faire arrêter pour avoir
dit dans un café, alors que Robespierre venait de débarrasser la République de la faction des indulgents, que
Danton était un bon bougre qui valait mieux que ce
buveur d’eau de Saint-Just ! J’ai vu sur l’échafaud unemère coupable d’avoir entretenu une correspondance
avec son fils à l’étranger, un soldat mutilé qui avait
réclamé du pain, un pauvre bougre qui avait appelé
son chien Citoyen  !

    Nul ne devrait s’étonner, dès lors, que vous fûtes
incarcéré à Saint-Lazare. Là-bas, vous auriez pu rester
bien sage, vous y faire oublier. Mais vous ne pouviez
vous résigner à mourir, ou plutôt, vous l’avez écrit, à
mourir sans avoir vidé votre carquois, sans avoir percé,
foulé et pétri dans leur fange les bourreaux barbouilleurs des lois. Barère demandait que l’on « purgeât les
prisons pour déblayer le sol de la liberté de ces immondices, de ces rebuts de l’humanité » et vous, rétif aux
menaces, vous composiez des Iambes dans lesquelles
vous dénonciez plus que jamais les excès jacobins !

    En vous guillotinant, la Révolution n’a pas assassiné
un poète. Elle s’est seulement débarrassée d’un empêcheur de tuer en rond. Votre mort, André, n’avait rien
de poétique ; elle fut politique, voilà tout. Et qu’on se
le dise une fois pour toutes : ce n’est pas moi qui vous
ai tué.

    Votre œuvre, en revanche, périra par ma main. Je
pourrais la brûler, mais ce serait m’exposer à la fureur
des Muses, et je ne peux y consentir. Comme vous, je
n’ai jamais cru en Dieu, préférant célébrer le culte des
filles de Zeus et Mnémosyne. Or j’aurais bien trop peur
d’attirer leur courroux par un tel sacrilège. J’ai déjà
réduit en cendres mon Timoléon  – j’entends vos rires
pleins de sarcasmes, je ne peux vous en vouloir ! – et
juré, depuis, qu’on ne m’y reprendrait plus. J’avais préféré voir ma pièce périr sur le bûcher de l’Inquisitionrévolutionnaire que ma tête tomber dans le panier de
Sanson. Je l’ai toujours regretté.

    Depuis, je prends garde de ne plus rien jeter au feu.
Ainsi votre œuvre est-elle préservée des cendres, pas de
la disparition. Qui prêtera la moindre attention à une
liasse de papiers jaunis, enfermée à double tour dans le
tiroir de mon secrétaire, le jour où je ne serai plus là ?
On trouvera sûrement vos poèmes, peut-être même les
lira-t-on d’un œil distrait, béotien, puis on les remisera
au placard, à la cave, au grenier, et ils tomberont dans
cette fange du passé qu’on appelle l’oubli. Le temps
consume aussi bien, sinon mieux, que les flammes. La
postérité n’a de place que pour un seul Chénier, et je
ne peux souffrir qu’il porte le prénom d’André. C’est
peut-être vous faire mourir une deuxième fois, mais
qu’importe ? On m’a accusé à tort la première fois, et
je jouis de savoir qu’on ne pourra m’imputer ce second
forfait, car aux yeux du monde, André, vos poèmes
n’existent pas. Je tiens là ma revanche sur des années
de calomnie.

    Peut-être pensez-vous que je suis un monstre, qu’il
eût été moins cruel de vous percer moi-même le corps
d’un coup de dague que de laisser votre œuvre périr
ainsi à petit feu. Je n’en ai cure. Après tout, vous n’aviez
qu’à rester tranquille. Il ne tenait qu’à vous de vivre,
André. Il ne tenait qu’à vous de vivre.

    Je ne sais pas pourquoi je vous dis tout cela. J’ignore
si vous m’entendez, de là-haut. Il est tard, je vais
retourner me coucher. Les Érinyes me poursuivent, je
les vois, je les entends. Peut-être devrais-je
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