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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple
Autoren: François-Henri Désérable
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savait
exactement le nombre et le nom de ses victimes pendant la période qui s’étend du 21 janvier 1793 au 9 septembre 1795 : deux mille neuf cent dix-huit, dont mille
trois cent soixante-seize en l’espace d’un mois et demi,
entre la Loi de prairial et le 9 thermidor, pendant ce
qu’on appelle aujourd’hui la Grande Terreur. Ça peut
paraître beaucoup, c’est peu au regard de tous les
morts qu’a faits la Révolution : entre seize mille et dix-huit mille personnes guillotinées ; mille trois cents massacrées en quelques jours de septembre dans les prisons de Paris ; près de trois mille fusillées à Nantes, plus
de deux mille à Avrillé... Et combien à Savenay où Westermann, le général boucher, se vantait d’avoir enterré
la Vendée dans les bois et les marais, massacré lesfemmes, écrasé les enfants sous les sabots des chevaux ?
Combien à Lyon, dans la plaine des Brotteaux, où
Collot d’Herbois fit donner du canon parce que la
guillotine et le fusil étaient trop lents ? Combien à
Nantes où Carrier, grand ordonnateur des bains républicains, noyait vieillards, femmes et enfants dans la
Loire, sa baignoire nationale  ? Et combien à Noirmoutier, à Toulon, à Fougères et au Mans ? Combien dans
ces villages brûlés, pillés, qui terrorisaient plus que la
vue de cent cadavres ? Combien lors des guerres avec
l’étranger, et combien lors de celle avec la Vendée ?
Cent mille ? Deux cent mille ? Qu’on se le dise : il n’y a
pas que la famille royale qui a succombé en même
temps que la monarchie.

    Si le nom de mon grand-père est à jamais associé aux
morts de la Révolution, ce n’est pas, comme on pourrait le croire, parce qu’il fut l’un des bourreaux les plus
prolifiques – d’autres peuvent se targuer d’avoir tué
sinon plus, au moins autant que Sanson –, mais parce
que ses morts à lui étaient les plus illustres que la
France eût connus, parce qu’il fut le témoin direct des
derniers instants de ces quelques hommes et femmes
dont l’Histoire a retenu les noms.

    Il fut celui à qui Marie-Antoinette, après qu’elle lui
eut involontairement marché sur le pied, présenta des
excuses avant d’aller mourir ; il fut celui qui, accompagnant Charlotte Corday, splendide dans son manteau
rouge, pleine de grâce alors que la charrette se frayait
difficilement un chemin, lui demanda si elle trouvait
ça long, et se vit répondre avec désinvolture : « Bah !
Nous sommes toujours sûrs d’arriver... » ; il fut celuiqui arracha les linges couvrant la mâchoire de
Robespierre ; celui qui cueillit les dernières paroles de
Lantenac – « Vive le roi ! », de Vergniaud – « Vive la
République ! », de Danton et de tous les autres. Tout
cela, il le racontait volontiers, on ne s’ennuyait jamais
avec lui. Il faisait revivre les morts de la faux républicaine, pas seulement les connus, mais ceux tombés
dans les oubliettes de l’Histoire, tel ce Joseph Chopin,
vingt-trois ans, qui fumait encore sa pipe sur la bascule : « La tête et la pipe sont tombées ensemble dans
le panier », telle cette Hélène Vatrin, qui riait aux
éclats dans la charrette parce qu’un saltimbanque faisait des singeries pour égayer la marche mortuaire :
« Si ses mains eussent été libres, elle eût applaudi le
baladin. »

    Toutefois, il y avait trois exécutions dont jamais il ne
parlait. Sans doute relevaient-elles, dans son panthéon
personnel, du domaine de l’ineffable, de l’indicible.
Elles l’avaient marqué au fer rouge, et dût-on lui appliquer les brodequins pour lui arracher quelques mots, il
se serait laissé torturer en silence, car ces mots auraient
à la fois ravivé les remords d’un sujet, le chagrin d’un
père et la douleur d’un amant.

    Il y avait, d’abord, l’exécution de Louis XVI. Le
crime de lèse-majesté par excellence. Celui qui fit de
Charles-Henri Sanson le régicide en chef, le dernier
maillon d’une chaîne qui devait offrir à la République
son Charles I er . Le roi, mon grand-père l’avait rencontré par deux fois. La première à Versailles, en avril
1789 : « Assailli par mes créanciers, je lui avais adressé
une supplique afin que le Trésor me paie les sommesqui m’étaient dues. Ce jour-là, il portait un habit de
taffetas lilas brodé d’or, sur lequel brillait la plaque du
Saint-Esprit, une culotte courte, des bas de soie et des
souliers à boucles. Ébloui par les dorures, le
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