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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple
Autoren: François-Henri Désérable
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    C’EST LA FIN QUI COURONNE L’ŒUVRE
     

    — Est-il vrai, mademoiselle, que vous êtes l’arrière-petite-fille de Corneille ?

    Il a posé la question du bout des lèvres, mezza voce . Pas
comme Fouquier, tout à l’heure, comme si cette filiation, forcément déshonorante pour le grand homme,
eût été inconcevable et, fût-elle avérée, devait être
cachée. Lui n’est pas comme ça. Il n’y a dans sa voix ni
l’ironie acerbe de l’accusateur public, ni son incrédulité. Il révère le dramaturge ; il ne condamne pas sa descendance. Je le vois dans ses yeux, délicatement plissés.
Il se demande : se peut-il que le sang qui coule dans les
veines de cette fille, que ce sang qui, bientôt, coulera
sur les planches de l’échafaud, soit celui de l’auteur
d’ Horace et d’ Andromède, de L’Illusion comique et du Cid  ?

    Il eût fallu, pour continuer à vivre, renoncer à se
comporter en héroïne cornélienne. Je suis Judith
décapitant Holopherne, Brutus poignardant César,
Rodrigue transperçant le corps du Comte. Je suis
Marie-Charlotte Corday d’Armont et j’ai assassiné
Marat. Mon aïeul eût été fier de moi.

    — Oui. Cela est vrai.

    Il continue à peindre. Il a commencé mon portrait
pendant le procès, dans la salle de l’Égalité. Je le voyais,
à moitié caché derrière une des colonnes, appliqué,
presque fasciné, donner des coups de crayon pendant
que les témoins défilaient. Après que les jurés eurent
délibéré, que l’accusateur public eut requis la peine de
mort, que le président eut prononcé la sentence, je ne
demandai qu’une seule chose : que le peintre fût autorisé à me rejoindre dans la cellule afin d’y achever mon
portrait.

    Je romps le silence :

    — Et vous, quel est votre nom, citoyen ?

    — Pardonnez-moi, je ne me suis pas présenté. Jean-Jacques Hauer, capitaine de la Garde nationale, commandant en second du bataillon de la section du
Théâtre-Français. J’ai été l’élève de David.

    — Il paraît que David va peindre la mort de Marat.

    — Oui. Il a commencé un tableau.

    — Vous l’avez vu ?

    — Les croquis seulement.

    — M’a-t-il représentée ?

    — Non. Le corps dans la baignoire est recouvert
d’un madras souillé de sang. La tête, enveloppée d’un
turban, penche légèrement. Sa main droite, pendante,
tient une plume, la gauche une feuille. À droite, un
billot de bois. Et sur le sol, un couteau à manche blanc.

    — Eh bien, le citoyen David a pris des libertés : le
manche du couteau était noir. Je l’ai acheté dans une
boutique du Palais-Royal.

    Il me regarde. Je lui souris. Il hésite, puis il demande :

    — Vous étiez déjà venue à Paris ?

    — Non, dis-je. C’est la première fois. La dernière
aussi. Je suis partie le 9. Deux jours de voyage en turgotine avec une escale à Lisieux. Il y avait huit passagers dans la diligence. De bons Montagnards, dont les
propos étaient aussi sots que leurs personnes. L’un
d’entre eux me prit pour la fille d’un de ses amis, me
supposa une fortune que je n’ai jamais eue, me donna
un nom que je n’avais jamais entendu, et finit par
m’offrir sa main dont je n’aurais jamais voulu. Quand
je le quittai enfin à Paris, je refusai de lui donner
l’adresse de mon père à qui il voulait me demander. Il
partit de bien mauvaise humeur. Piètre séducteur...

    — Vous devez bien avoir un amoureux ? Une jolie
fille comme vous...

    — Dieu m’en préserve. J’ai toujours dit que je ne
me marierai pas. Jamais personne n’aurait, sur l’adresse
de ses lettres, à me donner le titre de Madame. Mon
cœur n’est susceptible que d’un seul amour, celui de la
patrie. Et puis j’ai toujours préféré la compagnie des
livres à celle des hommes.

    — Vous lisiez beaucoup ?

    — Il semble que, toute ma vie, je n’ai fait que cela.
Quelques heures avant de rendre visite à Marat, je
lisais Plutarque dans ma chambre. Je me rappelle un
passage que j’ai souligné. L’auteur y compare Dion et
Brutus : « Ce qui fait la principale louange des deux
personnages, écrit-il, c’est la haine contre les Tyrans et
l’exécration de leur méchanceté. »

    — Croyez-vous avoir tué tous les Marat ?

    — Celui-ci mort, les autres auront peur... Peut-être.

    — Et pourquoi Marat ? Pourquoi pas Robespierre
ou Danton ?

    — C’est Marat qui entretenait le feu de la guerre
civile pour se faire nommer dictateur, c’est
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