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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple
Autoren: François-Henri Désérable
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Marat qui
pervertissait la France par ses écrits, c’est Marat qui se
disait l’ami du peuple alors qu’il était le pire ennemi
de la patrie. En tuant un seul homme, j’en ai sauvé
cent mille.

    Silence. Il peint.

    — Il vous reste de la famille ?

    — Bien sûr. Qui n’en a pas ? Mon père était agriculteur. Mais aujourd’hui, il dépense son énergie dans
ses procès. Une histoire de dot jamais payée par mes
oncles. Mes frères ont tous deux émigré et j’ignore où
ils sont. L’un serait parti en Espagne, et l’autre pour
le Brabant. J’ai également une sœur, Éléonore, plus
jeune de deux ans. J’ai passé toute mon enfance avec
elle. Sa santé était fragile : elle est née bossue. J’ai pris
soin d’elle, je lui ai appris à coudre, à faire le pain, à
donner à manger aux poules. Elle va me manquer.

    — Et votre mère ?

    — Morte en même temps que l’enfant qu’elle portait. J’avais quatorze ans.

    Il ne dit rien. Je continue :

    — On les a enterrés ensemble. Je ne m’en suis
jamais tout à fait remise. Après la mort de notre mère,
nous sommes entrées, avec Éléonore, à l’abbaye royale
de la Sainte-Trinité. Nous y apprîmes la musique, le
dessin, la dentelle, les bonnes manières et les rituels
religieux. J’écrivais des vers et, surtout, je lisais : Les Vies
parallèles , Le Contrat social , L’Histoire des Deux Indes .Et bien sûr, Corneille. Et puis ce fut la Révolution. En
faisant tomber la tête du roi, les hommes qui devaient
nous donner la liberté l’ont assassinée. Je n’ai jamais
été royaliste. Lors d’un dîner, j’ai même refusé de boire
à la santé de ce roi certes vertueux, mais trop faible
pour être bon. Je suis républicaine. Je l’ai toujours
été. Mais le jour où j’ai appris qu’on avait guillotiné
le roi, mon cœur a tressailli d’indignation. J’ai pensé,
ce jour-là, que la Révolution était mal engagée.

    Après la mort du roi, ce fut celle de l’abbé Gombault.
Ce brave abbé, qui s’était tant occupé de ma mère
dans ses derniers moments, refusa de prêter serment.
Il se cacha, on le trouva. Il fut guillotiné place Saint-Sauveur, à Caen. J’ai pensé, ce jour-là, que la Révolution était cruelle.

    Puis les députés girondins, menacés d’arrestation, se
sont réfugiés dans l’hôtel de l’Intendance, rue des
Carmes. J’ai assisté à certaines de leurs réunions. Ils
parlaient beaucoup, ils agissaient peu. J’ai su, ce jour-là, que la Révolution était perdue. Il fallait que quelqu’un la sauve.

    J’ai longtemps hésité. J’écrivais sur des petits papiers :
« Le ferai-je ? Ne le ferai-je pas ? » Jusqu’au bout, j’ai
porté cette interrogation.

    — Votre famille connaissait-elle vos desseins ?

    — Non. Avant de partir pour Paris, j’ai voulu voir
mon père une dernière fois, et puis je me suis ravisée.
J’en aurais eu trop de douleur. Alors je lui ai envoyé
une lettre dans laquelle je lui disais partir pour l’Angleterre.

    — Vous n’avez pas eu de nouvelles depuis ?

    — Non. Je lui ai écrit une nouvelle lettre, hier, dans
laquelle je lui demande pardon d’avoir disposé de mon
existence sans sa permission. J’espère qu’il ne sera
point tourmenté, qu’il m’oubliera ou, plutôt, qu’il se
réjouira de mon sort, car la cause en est belle. Le crime
fait la honte, et non pas l’échafaud.

    Je le vois qui hésite. Mais il demande :

    — Comment était-ce de...

    — D’assassiner Marat ?

    — Oui.

    — Plus facile que je ne l’aurais pensé.

    Il n’ajoute rien. Peut-être a-t-il peur de m’offusquer.
Mais j’ai envie de parler :

    — Je ne savais pas où il habitait. Je demandai à un
cocher de m’y conduire, mais il ne connaissait pas
l’adresse. Il se renseigna : Hôtel de Cahors, 30, rue des
Cordeliers. Il m’y emmena. La porte ouvrait sur une
cour sombre, presque lugubre. La gardienne m’indiqua où logeait le citoyen Marat : « Au premier
étage », me dit-elle, ajoutant qu’elle avait pour consigne
de ne laisser monter personne : « Le citoyen est très
malade. Il doit se reposer et ne reçoit pas. » Je partis
me promener une heure dans les rues de Paris, revins
à l’hôtel de Cahors et grimpai l’escalier en toute hâte.

    Il y avait là trois femmes : « J’arrive de Caen et je souhaite parler au citoyen Marat, dis-je à l’une d’entre
elles. – Impossible. Le citoyen ne peut recevoir
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