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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple
Autoren: François-Henri Désérable
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personne. » J’insistai. « Écrivez-lui ! » Je retournai à l’hôtel
de la Providence où j’étais descendue lors de mon
arrivée à Paris et rédigeai un billet : « Je viens de Caen.
Votre amour pour la Patrie doit vous faire désirer deconnaître les complots que l’on y médite. J’attends
votre réponse. » J’avoue que l’artifice était perfide.
Mais c’était le seul moyen de l’attirer à me recevoir, et
tous les moyens sont bons dans une telle circonstance.
Je comptais, en partant de Caen, le sacrifier sur la cime
de la Montagne, mais il n’allait plus à la Convention. Il fallait que je fusse autorisée à pénétrer dans cette salle
de bains où, m’avait-on dit, il passait le plus clair de son
temps, plongé dans une baignoire en forme de sabot
recouverte d’une planche sur laquelle il écrivait ses
appels au meurtre et à la délation.

    Il était près de sept heures du soir quand, pour la
troisième fois de la journée, je me rendis au domicile
de Marat. La gardienne n’était pas dans sa loge et je
pus facilement monter jusqu’à l’étage. La femme qui
m’avait déjà éconduite le matin voulut derechef me
chasser. Je demandai si Marat avait reçu ma lettre : « Je
n’en sais rien, me dit-elle, il en reçoit tant... » J’insistai
pour le voir, refusai de partir et haussai le ton. Marat
m’entendit : « Simone ! » cria-t-il – j’ai appris depuis
qu’il s’agissait de sa femme, ou tout au moins qu’il lui
avait promis de l’épouser. Elle partit le voir, échangea
quelques mots avec lui, puis revint vers moi : « Le
citoyen Marat consent à vous recevoir, me dit-elle.
Faites vite, il doit se reposer. » Elle inspecta mon sac.
Rien qui pût faire naître le moindre soupçon : il n’y
avait là que mon passeport, ma bourse, une montre et
un peloton de fil blanc. Le couteau était logé entre
mes seins.

    J’entrai dans la salle. Sur le mur : deux pistolets
croisés et une carte de la France au-dessous de laquellese trouvait une pancarte avec, en lettres capitales, ce
mot qui résumait le combat de toute une vie : « Mort. »
Marat était dans sa baignoire, le torse nu, un mouchoir
sale autour de la tête. Il paraît qu’il souffrait terriblement d’une maladie de peau, que la douleur de ses
plaies suintantes ne s’atténuait que dans son bain. Et
de ce bain émanait une odeur si nauséabonde – un
mélange de soufre et de vinaigre – que je décidai de ne
plus respirer que par la bouche. C’est pour cela, peut-être, que je ne me suis pas attardée. Et puis, qu’on se
le dise, j’étais résolument décidée à le tuer. En abrégeant ses souffrances, j’allais abréger celles du peuple
français.

    — Que me veux-tu, citoyenne ?

    — Je viens de Caen, je veux t’informer de ce qui s’y
trame contre la patrie.

    — Je t’écoute.

    — Les députés proscrits s’y sont réfugiés. Ils logent
à l’hôtel de l’Intendance. Ils y organisent la contrerévolution.

    — Combien sont-ils ?

    — Dix-huit.

    — Tu as la liste ? Leurs noms ?

    — Je les connais par cœur.

    Il note frénétiquement : Buzot, Louvet, Barbaroux...

    Je l’interroge : « Qu’allez-vous faire ? »

    Sa bouche se contracte, il rit : « Ils seront guillotinés.
Tous, à Paris. »

    Ce sont ces mots qui ont décidé de son sort. Si j’avais
eu ne serait-ce que le moindre doute, il eût été dissipé
à l’instant même où ces mots étaient sortis de cettebouche immense et ricaneuse. L’indignation que
j’avais dans le cœur me montra le chemin du sien. Je
me levai, tirai le couteau caché entre mes seins et l’enfonçai jusqu’au manche. À peine eut-il le temps d’appeler à l’aide que sa tête retombait sur la tablette de la
baignoire pendant que le sang encore chaud jaillissait
de sa poitrine nue. J’essayai de fuir, mais je reçus un
coup de chaise dans le dos.

    Je savais, dès lors, que j’allais mourir. Je pensais
même expirer dans l’instant, mais des hommes courageux et au-dessus de tout éloge m’ont préservée de la
fureur bien excusable des malheureux que j’avais faits.
Comme j’étais vraiment de sang-froid, je souffris des
cris de quelques femmes, mais qui sauve la patrie ne
s’aperçoit pas de ce qu’il en coûte. Puis ce fut l’interrogatoire et la fouille. Chabot voulait garder ma montre
en or. Je lui demandai : « Les capucins n’ont-ils pas fait
vœu de pauvreté ? »

    J’ai été
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