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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple
Autoren: François-Henri Désérable
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glaive
allait se retourner contre lui, idole pourrie d’un idéal
qu’il avait façonné à son image : implacable et froid. Il
avait fait trembler Paris et la France, il avait fait guillotiner ses rivaux, et de leurs cadavres s’était construit un
marchepied vers la satisfaction de ses ambitions personnelles, sans voir qu’il grimpait peu à peu les degrés
de l’échafaud.

    Il était assis dans un fauteuil, les coudes sur les
genoux, la tête entre les mains. Il savait que tout était
fini. Je bondis à ses pieds en mettant la pointe de mon
sabre au niveau de son cœur et lui dis : « Rends-toi,
traître ! » Il releva la tête, répliqua : « C’est toi, le
traître ! Je te ferai fusiller ! » Puis il prit un pistolet, mais
je dégainai plus vite, et presque à bout portant lui
transperçai la mâchoire. Il s’effondra.

    C’était la cohue. Robespierre le jeune se jeta sur le
pavé de la place de Grève, au pied de la colonne
Bourdon, Lebas se donna la mort, Couthon, abandonné par ses porteurs, chuta dans l’escalier d’où il
essaya de s’enfuir en rampant. Nous n’avions plus qu’à
cueillir les maîtres de la veille pour les ramener à ceux
du lendemain, afin qu’ils se prononcent sur leur sort
qui déjà ne faisait aucun doute.

    *

    Tel fut le récit que je livrai aux députés, car tel fut le
récit que l’on attendait de moi. La Convention avait
tout intérêt à donner une caution plébéienne au coup
d’État qu’elle avait fomenté. Que la première pierre
fût jetée par un homme du peuple accréditait cette
thèse dont tout le monde semblait s’accommoder. On
me félicita, puis on se félicita de m’avoir félicité. J’eus
même, honneur suprême, l’accolade de Collot d’Herbois, qui présidait l’Assemblée.

    J’étais jeune, je vivais à une époque où s’enorgueillir
d’avoir assassiné un homme pouvait vous assurer une
carrière – si l’homme était détesté. Et de tous les
hommes qui vivaient à Paris en thermidor, Robespierre
était le plus détesté. Alors je tus la vérité. Mais je peux
bien vous la dire, à vous qui comme moi allez mourir.
Après tout, nous sommes frères en cette abbaye perdue
quelque part dans un coin de Russie.

    Alors approchez, tendez l’oreille une dernière fois
avant d’expirer : la vérité, c’est que lorsque j’entrai
dans l’Hôtel de Ville, Robespierre gisait déjà à terre,
un pistolet à la main. Le sang coulait de sa bouche, il
s’était suicidé. Il avait préféré une mort à l’antique,
être Cassius, Brutus ou Caton, plutôt que Vergniaud,
Hébert ou Danton. Mais il s’était raté. Il avait la
mâchoire brisée, la joue percée ; il vivait encore. Il était
agité de spasmes, gémissait, demandait en vain qu’on
l’achevât. J’aurais pu l’abattre, finir le travail. Je ne lefis pas. Je voulais qu’il souffre. Qu’il connaisse son
chemin de croix ; il le connut.

    Ramené dans l’antichambre du Comité de salut
public, allongé sur une table, il dut pendant des heures
subir les avanies de ceux qui la veille encore se prétendaient ses amis avant qu’un chirurgien vînt enfin le
panser.

    Comme il tentait de dégrafer les jarretières de sa
culotte, un homme l’y aida, et Robespierre, comme si
la Révolution se finissait avec lui, le remercia comme
on remerciait sous l’Ancien Régime : « Monsieur, je
vous remercie », dit-il. Il n’y avait plus ni tutoiement
ni citoyen.

    Puis il endura son supplice comme Jésus couronné
d’épines, sans qu’un Simon de Cyrène vînt l’aider à
porter sa croix, sous les railleries d’une foule qu’on
n’avait jamais vue si nombreuse, une foule fiévreuse
qui regardait les charrettes cahoter, écoutait le grincement des roues sur les pavés, applaudissait à tout
rompre. Devant la maison Duplay, où Robespierre avait
passé les dernières années de sa vie, le convoi fut
arrêté. Un enfant de dix ans, peut-être douze, trempa
un balai dans un seau rempli de sang de bœuf et
aspergea la porte du logis. Et Robespierre, déjà pâle,
devint blême, ferma les yeux et baissa la tête, pour
dérober à la foule des larmes qu’il essayait de contenir.
Sur l’échafaud, il n’eut même pas le souci de trouver
un bon mot. N’est pas Danton qui veut. Le couperet
tomba. Et le rideau de cette grande pièce qu’avait
été la Révolution tomba avec lui.

    Voilà la vérité, l’âpre vérité. Mais qu’importe s’il fautla travestir. Après
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