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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple
Autoren: François-Henri Désérable
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Paris.
     

    6 septembre 1793

    Qu’aurais-je fait à la place de Gilbert ? Aurais-je
gardé le silence ? La reine serait-elle aujourd’hui hors
les murs de cette sinistre prison ? L’Histoire tient
parfois à si peu de chose, un enchaînement fortuit de
circonstances. Une destinée se joue sur un coup de
dés, sur la présence de tel gardien à la place de tel
autre.
     

    11 septembre 1793

    On a transféré la reine dans l’ancienne pharmacie.
La croisée qui donne sur la cour a été bouchée avec de la
tôle, celle qui donne sur le corridor est murée. À l’extérieur, deux gardes sous la fenêtre. Les concierges Richard
ont été remplacés par les Bault, et Michonis révoqué. La
vigilance a redoublé : désormais, c’est sur notre vie que
nous répondons de la prisonnière. La conspiration de
l’œillet n’aura fait que précipiter son sort.
     

    13 septembre 1793

    Le médaillon dans lequel elle conservait les cheveux
de ses enfants lui a été confisqué. Il ne lui reste plus
rien, hormis son petit chien.
     

    14 septembre 1793

    Terminé aussi le régime de faveur : désormais, ça
sera du pain sec, quelques légumes moisis et le même
brouet noirâtre que l’on sert aux autres détenus.
     

    15 septembre 1793

    Qu’a-t-elle fait aujourd’hui ? Rien, ou si peu. Lire,
méditer, prier : nouvelle trinité de son morne quotidien. Elle qui du temps de sa splendeur ne pouvait
vivre un seul instant privée de société, voici qu’elle en
est réduite, la pauvre, à guetter les rumeurs de la cour
qui viennent briser le silence, seul artifice à même de
conjurer la fuite du temps, car le silence, dit-on, est le
bruit que fait le temps en passant, et mesurer le temps
qui passe reste encore le meilleur moyen de ne pas
sombrer dans la folie.
     

    16 septembre

    Elle a demandé de la lecture. On lui a donné
quelques livres. Depuis, elle se fatigue les yeux sur les
voyages du capitaine Cook.
     

    20 septembre 1793

    Elle avait deux cents, peut-être trois cents robes
chaque année. Elles n’étaient portées qu’une seule
fois, parfois deux, avant d’être réformées puis vendues.

    Il lui suffisait de mander sa dame d’atours, caresser
les dizaines de morceaux d’étoffe fixés par des points de
cire sur un cahier, placer des épingles sur ceux qu’elle
désirait, et sa marchande de modes s’empressait de
lui monter une robe à panier couverte de falbalas, de
pierreries et de perles, ou une lévite avec ruban en ceinture, ou une polonaise avec jupon garni en bas d’un
volant, ou une turque avec col rabattu, corset plissé et
broderie de jasmin d’Espagne, ou une anglaise avec
manches bouffantes, collerette et vertugadin.

    Puis elle faisait entrer Léonard qui chaque jour la
coiffait, à la hérisson, cheveux relevés, crêpés et frisés à
la pointe, ou en porc-épic, berceau d’amour, Circassienne, corne d’abondance, ou encore à l’enfant, cheveux courts et bouclés.

    Alors venait son parfumeur, qui lui préparait des
fragrances à base de rose, d’ambre, de lavande et de
jasmin.

    Puis sa lectrice, sa dame d’honneur, sa femme de
chambre ou son médecin, son secrétaire, ses pages et ses
laquais, tous à son service, au service de la reine, dans cechâteau si grand, si luxueux qu’elle y étouffait, soumise
à l’étiquette, ridicule liturgie du pouvoir, aux intrigues
et au bal des courtisans, ce château qu’elle délaissait
pour se réfugier loin des fastes de la cour, entourée de
sa coterie, dans son palais à elle, son petit Vienne avec
son jardin, son théâtre, son temple de l’Amour, son
hameau où l’on pêchait la carpe et le brochet, où habillé
en paysan, robe de mousseline et chapeau de paille, on
jouait au paysan pendant qu’à quelques lieues de là,
d’autres paysans, des vrais, crevaient de faim et de
fatigue et ce n’était pas un jeu.

    Or que lui reste-t-il aujourd’hui ? Quelques fichus de
crêpe, un jupon d’indienne, un ruban pour attacher
ses cheveux, une paire de pantoufles que la moisissure
aura bientôt fini par gagner complètement, Rosalie,
qui la coiffe chaque matin, et deux gardes, qui l’épient
jour et nuit.
     

    21 septembre 1793

    Apparaître, poindre, briller.

    Consteller, scintiller, s’éteindre.

    Schönbrunn, Versailles, Trianon.

    Tuileries, Temple, Conciergerie.

    Ainsi la tragique et néanmoins céleste destinée d’une
reine se refléterait dans le faste des palais qui l’ont successivement
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