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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple
Autoren: François-Henri Désérable
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et je ne peux y souscrire. C’est un métier utile,
indéniablement : l’exécuteur est le garant de la paix
sociale. Car enfin, que craignent les criminels ? Ni le
juge qui prononce la sentence ni le greffier qui la
rédige. Ni la bouche de la loi ni la plume qui la transcrit. Ce qu’ils redoutent, ce qui les fait trembler, c’est
le glaive du bourreau.

    Un métier utile, donc. Mais un beau et noble métier ?
Dans l’accomplissement de sa charge, le bourreau est
amené à tuer. Oh, il n’y a rien d’humiliant à cela : c’est
le bien de l’État qui le commande. Et puis n’honore-t-on pas les soldats qui ont précisément pour métier la
mort des hommes ? D’ailleurs, s’il y a une différence,
elle est assurément à l’avantage du bourreau. Car le
soldat, à qui donne-t-il la mort ? À des innocents, à de
fort honorables gens, à de bons pères de famille qui
pas plus qu’eux ne demandent à être là, sur un champ
de bataille, entre la mitraille et les baïonnettes, sous la
pluie, celle qui mouille et celle qui tue, celle qui tombe
du ciel et celle que crachent les canons, de bons pères
de famille qui s’ils le pouvaient tomberaient l’uniforme, poseraient shakos et mousquets, rentreraient
chez eux s’asseoir au coin de l’âtre, ôteraient leurs
guêtres et leurs souliers pour chauffer à la flammeleurs pieds nus. Pendant que, dans l’exercice de ses
fonctions, le bourreau respecte l’innocence et ne
donne la mort qu’à des coupables, en tout cas aux yeux
de leurs juges, à des hommes et des femmes dûment
condamnés, des hommes et des femmes qui, pas toujours mais le plus souvent, l’ont amplement méritée.
La Révolution ne s’y est pas trompée : après Thermidor, la plupart des exécuteurs de France furent
jugés, et la plupart acquittés. Nous ne sommes que la
hache. Or, fait-on le procès d’une hache ? La hache
est utile, mais la hache n’est pas belle, et la hache n’est
pas noble. Qu’y a-t-il de beau dans la mise à mort ? Qu’y
a-t-il de noble à tuer son prochain ? Je le dis sans
ambages : rien.

    Mon grand-père avait beau prétendre le contraire,
personne n’était dupe : il n’aimait pas son métier. Il
était devenu bourreau parce qu’il fallait subvenir aux
besoins de sa famille, parce que la charge lui avait été
transmise et qu’il lui incombait de la transmettre à son
tour : « Pas plus qu’un roi, disait-il, un exécuteur ne
peut abdiquer. » Ou s’il l’aimait, alors pourquoi lui
arrivait-il de voir des taches de sang se dessiner sur la
nappe de la table à manger, pourquoi gardait-il sans
cesse ce regard triste, plein de mélancolie, pourquoi, la
nuit, s’éveillait-il en sursaut, le front trempé de sueur,
le cœur prêt à lâcher ?

    Ses démons, il les chassait aux sons d’une viole, dans
la quiétude d’un jardin : « Il n’y a que les fleurs et la
musique qui parviennent encore à m’apaiser. » Il avait
de la chance : c’était toujours mieux que noyer sonmal-être dans les plaisirs de la chair, les jeux d’argent
et le vin — ce que j’ai fait.

    *

    Je sais bien ! Jamais je n’aurais dû... Mais enfin,
comprenez que j’étais acculé ! Je n’avais plus rien ! Je
n’allais tout de même pas attendre sagement à Clichy
que l’on acquittât mes dettes ! Bien sûr, je ne peux
m’en prendre qu’à moi-même ! Mais que croyez-vous ?
Qu’il est facile d’endosser chaque jour le costume du
bourreau ? Alors, me direz-vous, je n’ai eu que dix-huit têtes à couper en sept ans. Eh bien, justement :
j’ai beau réprouver ce métier, il y a quelque chose que
j’exècre encore plus : l’ennui. Et l’ennui, croyez-moi,
vous gagne rapidement quand on vous sollicite une
fois tous les six mois pour envoyer quelque malheureux ad patres . Le reste du temps, puisqu’il faut bien
s’occuper, on s’occupe.

    Je me savais atteint d’un vice qui outrage les lois de
la nature, mais je le réprimai aussi longtemps que je le
pus – tout au moins en public, aux yeux de la société.
Je pris une femme, lui fis trois enfants ; les apparences
étaient sauves. Mais bientôt mes démons surgirent à
nouveau, et je finis par céder : j’allais dans les tripots,
au rendez-vous des amours vénales et des tendresses
éphémères. Il y avait toujours le défi d’un corps à satisfaire, le galbe d’un mollet, un torse glabre, des moustaches frisées, un grain de peau mulâtre, une odeur de
musc, de sueur et de
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