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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple
Autoren: François-Henri Désérable
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en prison.
Je passai quelques jours à me morfondre derrière les
barreaux, puis me vint une idée : la guillotine m’appartenant, je pouvais tout à fait la mettre en gage chez
mon créancier. Libre mais ruiné, je vécus pendant plusieurs semaines en priant que la justice soit clémente.
Elle le fut jusqu’à hier soir. J’allai trouver mon créancier pour le supplier de me restituer mon instrument
de travail, ne fût-ce que le temps de procéder à l’exécution. Il ne voulut rien entendre. Alors je dus me
rendre à l’hôtel de Bourvallais, place Vendôme, pour
exposer au ministre ma situation. Les bois de justicefurent rachetés, je guillotinai ma dernière victime, et
fus révoqué sur-le-champ. C’était il y a une heure.

    *

    Les pâles rayons du soleil d’hiver font encore
miroiter l’acier poli de la lame. Et sur cette lame j’aperçois le reflet de mon grand-père, c’est lui, j’en suis sûr,
avec son habit vert, son jabot de dentelle, sa culotte de
nankin, ses bas blancs. Il a le regard sévère de celui qui
a été trahi.

    Voilà, vous savez tout. Vous savez comment j’ai laissé
s’éteindre la lignée, vous savez pourquoi plus jamais un
Sanson ne célébrera la messe rouge sur l’autel de la
patrie, pourquoi les Gorsas et les Desmoulins peuvent
bien se retourner dans leur fosse autant qu’ils le
veulent : un chat s’appellera toujours un chat, mais
pour le reste...

    Que vais-je faire maintenant que je ne suis plus Monsieur de Paris ? Ma femme m’a quitté, ma maison a été
vendue, mon fils est mort et mes filles sont mariées.
Rien ne me retient ici. Je serais bien parti pour l’Amérique, avec ses nouveaux usages, ses forêts vierges,
ses immenses fleuves célébrés par Cooper et Chateaubriand. Mais je suis trop vieux. On ne change plus
de vie à mon âge. De monocle, peut-être, mais pas de
vie.

    Alors je vais me retirer à la campagne, avec mes
archives, ma bibliothèque et mon piano, dans un lieu
si calme que rien ne pourra m’y rappeler la funeste
occupation de ma vie antérieure. On ne saura pas quije suis, ni ce que j’ai fait pendant toutes ces années.
On m’appellera monsieur Henri, tout simplement. Je
cultiverai mon jardin, jouerai du piano comme jadis
Charles-Henri jouait de la viole, et j’écrirai peut-être
l’histoire de ma famille. À défaut d’avoir perpétué la
lignée, je perpétuerai sa mémoire. Pour rendre hommage aux Sanson. Et honorer, partiellement, la promesse qu’un petit garçon fit à son grand-père un après-midi de janvier, quand tout le monde disait encore
nivôse.

 
    MON PLUS GRAND FAIT D’ARMES
     

    Certaines humiliations relèguent les plus intolérables souffrances au rang de simples égratignures. Il y
a deux jours, dans cette foutue plaine de Borodino, j’ai
pris un boulet de canon juste au-dessous de la taille. Je
vais crever, je le sais, tout le monde le sait – c’est d’ailleurs pour ça qu’on m’a fait général. Il m’aura fallu
attendre d’être sur mon lit de mort pour qu’on s’occupe enfin de mon avancement ! Ça me fait une belle
jambe, si j’ose dire...

    Depuis deux jours, je souffre le martyre dans cette
abbaye où au milieu des cadavres s’entassent les blessés.
Et pourtant, la douleur est moins vive que l’offense
d’un maréchal il y a quelques années.

    C’était en 1805, il y a maintenant sept ans. Je n’étais
pas encore colonel, encore moins baron de l’Empire,
mais chef d’escadron au 7 e hussards, et faisais partie de
la cavalerie du 3 e corps de la Grande Armée où je vivais
de balles, de coups et de victoires. On louait mon intelligence, les hommes me respectaient, ou alors ils me
craignaient, ce qui est une certaine forme de respect.

    Jusqu’à ce que l’on m’apostrophe devant le reste de
l’unité :

    — Dites-moi, Méda, vous vous appeliez Merda il y a
quelques années, n’est-ce pas ?

    — Oui, Monsieur le Maréchal. Mais j’ai fait enlever
le « r », vous comprenez...

    — C’est dommage, vous portiez si bien votre nom !

    Une seule lettre vous manque, et tout est dépeuplé :
les plaisanteries scabreuses, les rires gras, les bras qui
se tendent et les mains qui vous montrent du doigt ;
rajoutez-en une, et le cirque recommence. C’est ce
qu’il avait fait. L’homme qui venait de m’infliger les
lazzis de tant d’autres n’était pas n’importe qui : il avait
pris le fort d’Aboukir, s’était battu contre les Mamelouks, au pied des
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