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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple
Autoren: François-Henri Désérable
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pyramides, où quarante siècles
d’histoire le contemplaient. Très jeune, il avait été
élevé à la dignité de maréchal d’Empire, dès la première promotion, celle de 1804, celle de Bernadotte,
de Brune, de Murat et de Ney. Et pourtant, le mot de
l’Empereur à Talleyrand lui siérait à merveille : de la
merde dans un bas de soie. Oui, voilà ce qu’il était. Et
ce qu’il est encore aujourd’hui.

    Ce n’était pas la première fois qu’il humiliait un
soldat. Il semblait prendre un plaisir sadique à rabaisser quiconque se trouvait au-dessous de lui, or tout le
monde, hormis l’Empereur, s’y trouvait. S’il y en avait
que cela révoltait, personne n’osait rien dire, tous courbaient l’échine, parce qu’il était un génie militaire, un
grand stratège, écouté par tous et par tous encensé ; et
ce génie militaire, ce grand stratège sur le berceau
duquel les dieux de la guerre se sont penchés, espèreaujourd’hui que d’un revers de la main la grandeur du
soldat éclipsera la bassesse de l’homme. Qu’on le laisse
se bercer d’illusions : il compte se ménager un avenir
au-delà de la tombe ; le temps fera justice de ses prétentions.

    Ce jour-là, il avait décidé de m’humilier. Devant ses
hommes, dont certains étaient aussi les miens, il
m’avait traité comme une merde, en rajoutant ce « r »
que j’avais amputé de mon patronyme d’origine, pour
le plaisir d’un bon mot. Un bon mot qui devait se
répandre comme une traînée de poudre afin que, de la
cavalerie aux régiments d’infanterie, tout le monde
pût en profiter.

    Inutile de fatiguer ma voix en citant son nom, vous
l’avez sans doute reconnu. Pourquoi m’en voulait-il ?
Pendant longtemps, je l’ignorai. Ce qu’il me reprochait, je le sus bien plus tard, c’était d’avoir donné
un coup de pistolet plusieurs années auparavant, une
nuit de juillet 1794, la nuit du 9 au 10 thermidor an II.

    *

    Cette nuit-là, le tocsin sonnait, sur les quais, sur les
places, dans les rues, sur les ponts on battait le rappel,
et les gueules des canons étaient tournées contre
l’Hôtel de Ville où Robespierre et ses complices avaient
trouvé refuge.

    J’étais alors simple gendarme, et par un concours de
circonstances, je fus le premier à pénétrer dans l’enceinte où ils passaient les dernières heures de leur vie.
Je pensai alors à La Rochejaquelein, haranguant duhaut de ses vingt ans les milliers de paysans venus se
soulever contre l’armée républicaine : « Si j’avance,
suivez-moi, si je recule, tuez-moi, si je meurs, vengez-moi. » La baïonnette au fusil, j’entrai dans la salle du
Conseil, pris le couloir de gauche, parai aux coups
des derniers fidèles du tyran, me frayai un chemin jusqu’au secrétariat dont je poussai la porte. Et soudain
je les vis.

    Ils étaient là, tous là, les futurs vaincus de Thermidor : Augustin-Bon, dit Bonbon, ou Robespierre le
jeune, croisé jadis dans une maison de la rue Vivienne,
un endroit mal famé où agioteurs, marchands d’or et
ribaudes se soûlaient à la vinasse dans des ciboires
rapinés aux églises ; Hanriot, que depuis le balcon de
l’Hôtel de Ville Coffinhal – cet abruti de Coffinhal,
celui-là même qui avait dit, lors du procès de Lavoisier, que la République n’avait pas besoin de savants –,
précipiterait bientôt dix mètres plus bas ; Simon, le
cordonnier Simon, vil précepteur du dauphin, qui lui
apprenait comment chanter la carmagnole et insulter
les aristos, le récompensait en rasades d’eau-de-vie
– un gosse de huit ans ! –, se faisait servir par icelui, et
de temps à autre lui flanquait des taloches à lui décrocher la mâchoire ; Saint-Just, parce qu’on ne peut tuer
innocemment et que les grands hommes ne meurent
pas dans leur lit ; mais aussi Couthon, Lebas, Dumas...
Seul manquait David, David le poltron, qui la veille
encore avait promis à Robespierre de boire la ciguë
avec lui, et se terrait depuis loin de l’agitation des
Tuileries. Qu’on le sache : on peut avoir peint La Mortde Socrate , et être trop pleutre pour mourir comme Socrate.

    Je les vis tous, et je le vis, lui, le traître, le valet de
Cromwell, l’homme mué en principe et le principe fait
glaive, celui qui incarnait la Terreur comme les Louis
avaient incarné l’Ancien Régime et comme un général
corse incarnerait bientôt le nouveau. Mais la terreur,
la sainte terreur, avait changé de camp, et le
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