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Talleyrand, les beautés du diable

Talleyrand, les beautés du diable

Titel: Talleyrand, les beautés du diable
Autoren: Michel de Decker
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qu’à force de guetter les panneaux fichés dans la gouttière par une main aussi discrète qu’amoureuse elle avait fini par distinguer un peu du visage de l’auteur anonyme. Et ce visage-là lui était apparu aussi délicat que celui d’un ange.
    L’amoureux était discret ? Il était souple aussi car il ne se passa que peu de soirs avant qu’il se décidât à faire le mur du séminaire pour rejoindre la fileuse.
    — Descendre la nuit du haut d’un mur de jardin ne me paraissait pas impraticable en ce temps-là, racontera le jeune homme quand il sera devenu bien vieux.
    D’autant que, dans le parc de la maison des abbés, il existait un tilleul, un arbre complice qui lui tendait les branches pour lui faciliter l’escalade.
    Soit, mais pour le retour ?
    — Pour rentrer dans ma prison, il fallait faire approcher un fiacre tout près de la dévote clôture, puis monter du siège sur l’impériale, de l’impériale sur le mur et atteindre les branches de mon tilleul avant de me laisser glisser sur le sol.
    Au risque de se blesser.
    — C’est d’ailleurs ce qui arriva, confiera le fugueur, et cet accident qui n’eût été pour un autre qu’une entorse devait être un long mal pour moi.
    Car le jeune séminariste était handicapé du pied droit. Mais il n’était pas réellement pied bot, comme on l’a souvent prétendu, puisque la malformation de cette partie de son individu n’était en rien congénitale. Cette infirmité résultait simplement d’un fâcheux accident de nourrice.
    — Mes parents m’avaient déposé chez une nurse qui habitait le faubourg Saint-Jacques. Cette brave femme m’élevait à sa manière, ni mieux ni plus mal que les autres enfants qui lui étaient confiés, raconte le boiteux dans ses Mémoires . J’avais quatre ans quand cette femme me laissa tomber de dessus une commode. Je me brisai un pied ; elle fut plusieurs mois sans le dire...
    Résultat, les os se ressoudèrent à la vaille que vaille et le peton du bambin demeura définitivement atrophié.
    Ce bambin-là se prénommait Charles Maurice, il était le fils de Charles Daniel, comte de Talleyrand-Périgord, et de Victoire Éléonore de Damas d’Antigny.
    Talleyrand ! Le Diable boiteux, comme le surnommeront un jour ses ennemis.
    — C’est vrai, confiera madame de Dino après avoir découvert son anatomie, le pied droit de Charles Maurice ressemblait à un sabot tout en chair et terminé par des ongles en forme de griffes.
    — Puisque vous voulez connaître l’horrible vérité, aimait à raconter Talleyrand pour effrayer ses interlocuteurs, il se trouve que j’ai eu le pied dévoré par un porc alors que ma nourrice m’avait posé à terre pour s’entretenir avec un galant.
     
    Et c’était à cause de ce pied contrefait qu’il s’était retrouvé un jour au séminaire de Saint-Sulpice, soit à deux pas de la maison de la rue Garancière dans laquelle il avait vu le jour en février de l’an 1754. Car bien qu’étant l’aîné, le chef du nom et des armes, sa claudication lui avait interdit la carrière militaire. À défaut d’épée, la soutane.
    — Ma vocation c’est ma jambe, grognait-il quand on lui demandait s’il croyait en Dieu.
    Une jambe qu’il vient donc de meurtrir en sautant du haut de son tilleul après avoir passé sa soirée à lutiner Julienne Picot.
    Que faire, alors, maintenant qu’il est paralysé dans ce fichu séminaire et que toute fugue nocturne est impossible ?
    — Un soir que je gémissais dans les tourments de la solitude, il me vint en tête d’essayer une distraction de gourmandise, explique-t-il malicieusement. J’eus l’idée d’envoyer chercher quelques perdrix et une tourte de frangipane chez le père de Julienne. Non seulement c’était un moyen ingénieux de la rassurer sur ma santé mais il me semblait aussi qu’un peu de bonne chère me consolerait de mes mésaventures, que les douceurs du père m’aideraient peut-être à supporter les rigueurs de l’absence de la fille... Il était près de sept heures, j’avais grand appétit. J’attendais le grave patronnet qui avait coutume d’apporter les succulentes réfections, quand elles étaient permises, lorsque j’entendis frapper doucement à une porte voisine de la mienne. Je me levai comme par instinct, et au lieu du grand garçon de four, étique et pâle, je vis venir l’enfant le plus charmant, mais le plus embarrassé du monde. Je le pris d’abord pour le frère de
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