Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Souvenirs d'un homme de lettres

Souvenirs d'un homme de lettres

Titel: Souvenirs d'un homme de lettres
Autoren: Alphonse Daudet
Vom Netzwerk:
où les meubles dépareillés s'entassaient tous dans une
pièce unique, la seule qu'on pût éclairer et chauffer, ce qui ne
l'empêchait pas de rester obscure et glacée malgré tout, à cause de
l'abandon, de la misère qu'on sentait rôdant tout autour dans le
désert des pièces vides. Pauvres gens ! Vers onze heures, ils
vous demandaient bien naïvement : « Avez-vous
chaud ?… Voulez-vous vous rafraîchir ?… » et ils
ouvraient les fenêtres toutes grandes pour laisser entrer l'air du
dehors en guise de rafraîchissement. Après tout, cela valait mieux
encore que les sirops à couleurs vénéneuses, les petits-fours
poussiéreux conservés si soigneusement d'une semaine à l'autre.
N'ai-je pas connu une maîtresse de maison qui, chaque mardi matin,
mettait à sécher sur sa fenêtre des petits paquets de thé mouillé,
qu'elle faisait resservir deux ou trois lundis de suite ?
Oh ! Quand les bourgeois se mêlent d'être fantaisistes, on ne
sait jamais où ils s'arrêteront. Nulle part, même en pleine bohème,
je n'ai rencontré de types aussi bizarres que dans ces
milieux-là.
    Je me rappelle une dame en blanc, que nous
appelions la dame aux
gringuenotes
parce qu'elle se
plaignait toujours en soupirant d'avoir des
gringuenotes dans
l'estomac
 !… Personne n'a jamais su ce qu'elle voulait
dire.
    Et cette autre, une grosse mère, mariée à un
répétiteur de droit, qui amenait toujours avec elle pour la faire
danser des élèves de son mari, tous étrangers, un Moldave
entortillé de fourrures, un Persan à grande jupe.
    Et ce Monsieur qui mettait sur ses cartes
« 
touriste du monde
 », pour dire qu'il avait
fait le tour du monde !
    Et, dans un salon de parvenus, cette vieille
paysanne aux trois quarts sourde et idiote, toute fagotée dans sa
robe de soie, à qui sa fille venait dire en minaudant :
« Maman, M. un tel va nous réciter quelque chose. »
La pauvre vieille s'agitait sans comprendre sur sa chaise, avec un
sourire niais, effaré : « Ah ! Bien… Bien… »
C'est dans cette même maison qu'on avait la spécialité des parents
de grands hommes. On vous annonçait en grand mystère :
« Nous aurons ce soir le frère d'Ambroise Thomas », ou
bien encore « un cousin de Gounod », ou « la tante
de Gambetta ». Jamais Gambetta ni Gounod, par exemple. C'est
encore là… Mais je m'arrête, la série est inépuisable.

En province
    Un membre du Jockey-Club
    Après dîner, ces braves Cévenols avaient tenu
à me montrer leur cercle. C'était l'éternel cercle de petite ville,
quatre pièces en enfilade au premier d'un vieil hôtel qui avait vue
sur le mail, de grandes glaces passées, du carrelage sans tapis, et
çà et là sur les cheminées – où traînaient des journaux de Paris,
datés de l'avant-veille – des lampes de bronze, les seules de la
ville qu'on ne soufflât pas au coup de neuf heures.
    Quand j'arrivai, il y avait encore très peu de
monde. Quelques vieux ronflaient, le nez dans leur journal, ou
jouaient au whist silencieusement, et sous la lumière verte des
abat-jour, ces crânes chauves penchés l'un vers l'autre, les jetons
entassés dans leur petite corbeille en chenille, avaient le même
ton mat, jaune, poli du vieil ivoire. Dehors, sur le mail, on
entendait sonner la retraite, et le pas des promeneurs qui
rentraient, dispersés par les rues en pente, les marches de niveau,
les rampes de cette ville montagnarde à plusieurs étages… Après
quelques derniers coups de marteau jetés aux portes dans le grand
silence, la jeunesse délivrée des repas et des promenades de
famille monta bruyamment l'escalier du cercle. Je vis entrer une
vingtaine de solides montagnards gantés de frais avec des gilets
échancrés, des cols ouverts et des essais de frisure à la russe,
qui les faisaient ressembler tous à de grosses poupées fortement
coloriées. C'était ce que vous pouvez imaginer de plus comique. Il
me semblait que j'assistais à une pièce très parisienne de Meilhac
ou de Dumas fils, jouée par des amateurs de Tarascon et même plus
loin. Toutes les lassitudes, les airs ennuyés, dégoûtés, ce parler
veule qui est le suprême chic du cocodès parisien, je les
retrouvais à deux cents lieues de Paris, exagérés encore par la
maladresse des acteurs. Il fallait voir ces gros garçons s'aborder
d'une mine languissante : « Comment va, mon
bon ? » s'allonger sur les divans dans des poses
accablées, s'étirer les bras devant les glaces et dire
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher