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Souvenirs d'un homme de lettres

Souvenirs d'un homme de lettres

Titel: Souvenirs d'un homme de lettres
Autoren: Alphonse Daudet
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pas de fauve sous la voûte de
l'escalier, ne voulant pas même qu'on l'aidât et traînant à deux
mains sa malle, lourde de la précieuse denrée.
    Vous figurez-vous votre enfant aux soins de
pareilles brutes… Aussi n'est-ce pas trop d'une surveillance de
tous les instants. Si vous laissiez faire la nourrice, elle ne
sortirait jamais Bébé pour le mener boire le soleil, respirer l'air
de verdure des squares. Paris, au fond, l'excède ; et elle
préférerait rester près du feu, sans lumière, l'enfant aux genoux,
le nez dans les cendres comme à la campagne, dormant, des quatre
heures durant, de son lourd sommeil de paysanne. C'est le diable
encore de l'empêcher de coucher le nourrisson avec elle dans son
propre lit. Pourquoi faire, un berceau ? Ces bourgeois
vraiment ont des idées, des exigences ! Ne vaudrait-il pas
mieux l'avoir là, tout près, et lui donner le sein sans se
réveiller ni avoir froid, quand il crie ? Il est vrai que
parfois en se retournant on l'étouffe ; mais ces sortes
d'accidents sont rares.
    Et puis des traditions de campagne assurent
qu'un enfant de lait ça mange de tout, qu'on peut impunément le
bourrer de poires acides et de prunes vertes. Arrive une
inflammation, on court au médecin et l'enfant meurt. D'autres fois
encore pour une chute, pour un coup non avoués, ce sont les
convulsions ou la méningite… Ah ! Comme nos Parisiennes
feraient mieux de suivre les conseils de Jean-Jacques et de nourrir
leurs enfants elles-mêmes ! Il est vrai que ce n'est pas
facile toujours ni pour toutes, dans cet air anémiant des grandes
villes qui fait tant de mères sans lait.
    Mais que penser des bourgeoises provinciales
qui, sans nécessité, par pure habitude d'insouciance et de paresse,
envoient leurs enfants en nourrice pour deux ou trois ans chez des
paysans qu'elles n'ont jamais vus ? La plupart meurent. Ceux
qui survivent reviennent à l'état d'affreux monstres que leurs
parents ne reconnaissent pas, aux allures rustiques de petits
hommes à grosse voix et parlant des patois barbares.
    Je me rappelle qu'un jour, me trouvant en
province, dans le Midi, des amis me proposèrent une excursion au
Pont du Gard. Il s'agissait d'un déjeuner champêtre sur les galets
de la rivière, à l'ombre des ruines. Justement « le
petit » était en nourrice de ces côtés, et nous devions le
voir en passant. Grande partie, on invite des voisins, on loue un
omnibus, et fouette dans le vent, le soleil, la poussière
aveuglante et brûlante. Au bout d'une heure, en haut d'une côte,
nous apercevons de loin, au milieu du chemin blanc comme la neige,
une tache brune. La tache grandit, se rapproche. C'était la
nourrice, prévenue, qui nous guettait. L'omnibus s'arrêta, on passa
par la portière le petit qui piaulait.
    « Comme il est beau !… Comme il vous
ressemble !… Et autrement, il va bien, nourrice, votre
petit : » Tout l'omnibus l'embrasse, s'attendrit, puis on
repasse par la portière le petit paquet braillant, et nous filons
au galop, laissant l'enfant et la nourrice plantés au soleil dans
la cendre embrasée et craquante de cette route du Midi.
    C'est ainsi qu'on fait les gars solides…
Direz-vous.
    Je crois bien ; ceux qui résistent sont à
l'épreuve.

Les salons ridicules
    De toutes les folies du temps, il n'y en a pas
de plus gaie, de plus étrange, de plus fertile en surprises
cocasses, que cette rage de soirées, de thés, de sauteries qui
sévit d'octobre en avril à tous les étages de la bourgeoisie
parisienne. Même dans les plus modestes ménages, aux coins les plus
retirés de Batignolles ou de Levallois-Perret, on veut recevoir,
avoir un salon, un jour. Je connais des malheureux qui s'en vont
chaque lundi prendre le thé rue du Terrier-aux-Lapins.
    Passe encore pour ceux qui ont un intérêt
quelconque à ces petites fêtes. Ainsi les médecins qui
s'établissent et veulent se faire connaître dans le quartier, les
parents sans fortune qui cherchent à marier leurs filles ; les
professeurs de déclamation, les maîtresses de piano recevant une
fois par semaine les familles de leurs élèves. Ces soirées-là
sentent toujours un peu la classe, le concours. Il y a des murs
nus, des sièges raides, des parquets cirés, sans tapis, une gaîté
de convention et des silences si attentifs quand le professeur
annonce : « Monsieur Edmond va nous réciter une scène du
Misanthrope
, » ou « Mademoiselle Elisa va jouer une
Polonaise
de Weber ».
    Mais à côté de
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