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Souvenirs d'un homme de lettres

Souvenirs d'un homme de lettres

Titel: Souvenirs d'un homme de lettres
Autoren: Alphonse Daudet
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antiques célébrités que je
vis passer là dans le brouillard d'or des premiers éblouissements,
vint un soir Émile Ollivier. Il était avec sa femme, la première,
et le grand musicien Liszt, son beau-père. De la femme, je me
rappelle des cheveux blonds sur un corsage de velours ; de
Liszt, du Liszt de ce temps-là, moins encore. Je n'avais d'yeux, de
curiosité que pour Ollivier. Âgé d'environ trente-trois ans (on
était en 1858), coryphée du parti très populaire parmi la jeunesse
républicaine qui était fière d'avoir un chef de son âge, il
marchait alors dans la gloire. On se disait la légende de sa
famille : le vieux père longtemps proscrit, le frère tombé
dans un duel, lui-même proconsul à vingt ans et gouvernant
Marseille par l'éloquence. Tout cela lui donnait de loin, dans les
esprits, une certaine tournure de tribun romain ou grec, et même
quelque ressemblance avec les jeunes hommes tragiques de la grande
Révolution : les Saint-Just, les Desmoulin, les Danton. Pour
moi, que la politique touchait peu, le voyant ainsi, poétique
malgré ses lunettes, éloquent, lamartinien, toujours prêt à parler
et à s'émouvoir, je ne pouvais m'empêcher de le comparer à un arbre
de son pays – non à celui dont il porte le nom et qui est symbole
de sagesse – mais à un de ces pins harmonieux qui couronnent les
collines blanches et se reflètent dans les flots bleus des côtes
provençales, pins stériles mais gardant en eux comme un écho de la
lyre antique, et frémissant toujours, résonnant toujours de leurs
innombrables petites aiguilles entrechoquées au plus léger souffle
de tempête, au moindre vent qui vient d'Italie.
    Émile Ollivier était alors
un des
Cinq
, un des cinq députés qui, seuls, osaient braver l'Empire,
et il siégeait au milieu d'eux, tout en haut des bancs de
l'assemblée, isolé dans son opposition comme sur un inexpugnable
Aventin. En face, renversé dans le fauteuil présidentiel, l'air
endormi et las, Morny, de son œil froid de connaisseur d'hommes,
guettait celui-ci : il l'avait jugé moins Romain que Grec,
plus emporté par la légèreté athénienne que lesté de prudence et de
froide raison latine. Il connaissait l'endroit vulnérable ; il
savait que sous cette toge de tribun se cachait la vanité native et
sans défense des virtuoses et des poètes, et c'est par là qu'un
jour ou l'autre il espérait en venir à bout.
    Des années plus tard, quand pour la seconde
fois et dans les circonstances que je vais dire, je me rencontrai
avec Émile Ollivier, il était conquis à l'Empire. Morny avant de
mourir avait mis comme une coquetterie à vaincre, à force d'avances
narquoises et de hautaines câlineries, les résistances, pour la
forme et la galerie, de cette mélodieuse vanité. On avait crié dans
les rues : « la grande trahison d'Émile Ollivier »,
et pour cela, Émile Ollivier se croyait le comte de Mirabeau.
Mirabeau avait voulu faire marcher d'accord la Révolution et la
Monarchie ; Ollivier, plein d'ailleurs des intentions les
meilleures, tentait après vingt ans d'unir la Liberté à l'Empire,
et ses efforts rappelaient Phrosine mariant l'Adriatique avec le
Grand Turc. En attendant le Grand Turc, comme il se trouvait veuf
depuis longtemps, il s'était remarié lui-même, avec une toute jeune
fille, provençale comme lui, qui l'admirait. On le disait radieux,
triomphant, une même lune de miel dorait de ses plus doux rayons et
ses amours et sa politique. Un homme heureux !
    Cependant un coup de pistolet retentit du côté
d'Auteuil. Pierre Bonaparte venait de tuer Victor Noir ; et
cette balle corse, à travers la poitrine d'un jeune homme, frappait
en plein cœur la fiction de l'Empire libéral. Paris soudain
s'émeut ; les cafés parlent à voix haute, une foule gesticule
sur les trottoirs. De minute en minute les nouvelles arrivent, les
bruits circulent ; on se raconte l'intérieur étrange du prince
Pierre, cette maison d'Auteuil fermée en plein Paris, comme une
tour de seigneur génois ou florentin, sentant la poudre et la
ferraille, et tout le jour retentissante du bruit des pistolets de
tir et du cliquetis des épées froissées. On dit ce qu'était Victor
Noir, sa grande douceur, sa jeunesse, son mariage tout prochain. Et
voilà que les femmes s'en mêlent : elles plaignent la mère, la
fiancée ; l'attendrissement d'un roman d'amour s'ajoute aux
colères politiques. La
Marseillaise
, encadrée de noir,
publie son appel aux armes ;
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