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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion
Autoren: Louis Calaferte
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    Au commencement était le Sexe.
    Sauveur. Chargé d’immortalité. Il y a la Bête. Héroïque. Puissante. Et au-delà de la Bête il n’y a rien. Rien sinon Dieu Lui-même. Magnifique et pesant. Avec son œil de glace. Rond. Statique. Démesurément profond. Fixe jusqu’à l’hypnose. Tragique regard d’oiseau. Allumé et cruel. Impénétrable de détachement. Rivé sur l’infini d’où tout arrive.
    Le monde s’ouvre comme un énorme utérus en feu. Le monde est femelle, comme l’est la Création. Et putain, impudique, comme l’est la femelle. Père. Fils. Esprit. Triangle sacré du pubis. Le sexe-roi. C’est partout la famine. Étreindre. Prendre. Jouir. Le monde est vautré, nu, offert à la fornication dans sa splendeur maligne et dans sa purulence, tous ses abcès ouverts. Sous les yeux mêmes de l’innocence qui cherche.
    Dans ce néant placide, la principale préoccupation est de mettre le cap chaque jour sur un point, précis ou non, connu ou non, sans qu’il soit même question d’aborder quelque part. Et louons, glorifions le Seigneur qui nous porte en son sein comme une écharde vénéneuse ! Nul ne peut dire encore quel est l’enjeu final, ni ce que nous trouverons en bout de course. Le bûcher déjà flambant, la rémission des péchés et le repos du grand pardon ou, octroyée en récompense à titre privé, une jeune et solide putain au con prestigieux, sélectionnée entre toutes pour sa bonne humeur et son savoir-faire.
    Allons toujours ! Soyons confiants ! La fourmilière est en effervescence. Torpeur funèbre. Torpeur rouge de la foule qui va droit devant elle à l’aveuglette, les yeux bouffis de sang, vivant sous un soleil usé un âge déjà mort pétrifié dans le temps. Roule. Roulements. Rouages. Relayez-vous. Au coude à coude. Armée du deuil. De l’expiation. Tenez-vous prêts au cri strident de la sirène-massue enfilée droite comme un phallus de briques dans le plein ventre du ciel congestionné. Chaque minute compte pour une vie, comme vous savez. Sonneries-dynamites des réveils en transe. Explosent à la même heure sur le sommeil du monde abasourdi. Et le monde se dresse, chancelant sur ses jambes nues. Le monde urine en cadence. Il est sept heures. Ou la demie. Sept heures de quoi ? La demie de quoi, au juste ? Ce n’est pas la question. Ce n’est jamais la question. Nous sommes en retard de dix siècles, ou plus. Des tonnes d’eau s’évacuent par la tuyauterie avec la mousse savonneuse, s’écoulent avec les déchets de crasse héréditaire et, par-ci par-là, un soupçon peut-être de révolte entrevue. Mais il faudrait le temps d’y réfléchir.
    Ne songez présentement qu’à ramasser en hâte les habits de la veille qui traînent sur la chaise. Harnais de cuir clouté, mors et licol. Endossez vaillamment l’uniforme et boutonnez, sanglez, que l’extérieur au moins soit sans bavure. Et s’il advenait qu’une puce diabolique se soit glissée la veille au soir dans les doublures chaudes, prenez aussi la puce, il n’y a pas de raison. Il faut aller au bout des choses. L’éternité reconnaîtra les siens.
    Pour l’instant, vous me surprendriez vraisemblablement dans un passé vieux déjà de quelques années, écrivant des nuits entières, des jours entiers, parfois à demi brisé de fatigue, le corps cassé d’être resté plié en deux au-dessus de la table, l’estomac douloureux et dans la bouche l’écœurement sec du tabac. Claustré pendant des semaines d’affilée dans mes chambres d’hôtel successives et, en tout dernier lieu de cette période singulière où je commençais d’écrire, dans la chambre à coucher du minuscule appartement où j’étais venu m’installer avec une femme, rédigeant un livre sur lequel je fondais tous mes espoirs. Livre qui ne verrait jamais le jour, du moins sous sa forme originelle. Mais en l’écrivant j’étais persuadé qu’il atterrirait bientôt sur la planète avec la force d’une météorite, laissant loin derrière lui tous ceux que j’avais pu ingurgiter en vrac au cours de sept ou huit ans de quête intellectuelle désordonnée.
    Comment expliquer aujourd’hui cette rage de lecture qui me tenait continuellement sous pression, cette faim de découverte, cette fébrilité vis-à-vis de tout ce qui était imprimé ? Le choc que j’imaginais devoir se produire un jour, que je souhaitais ardemment, n’avait jamais lieu. Ce qui ne m’empêchait pas de renouveler l’expérience
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