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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto
Autoren: Nicolas Remin
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toujours eu un solide coup de fourchette.
    M. Zulani s’essuya la bouche avec la manche de sa chemise, but une gorgée de vin et rota une nouvelle fois.
    — D’où ?
    C’était sa façon de lui poser des questions. Autrefois, pensa Bella avec résignation, il lui aurait demandé de manière courtoise chez qui elle avait acheté le foie et se serait même laissé aller à échanger quelques paroles sur la recette. Autrefois, c’était avant qu’elle eût grossi – passant de cent vingt à deux cents livres –, surtout après le départ de Giovanni, leur fils unique. Mais bon, elle savait ce qu’il voulait dire et put répondre à sa question.
    — Le foie vient de chez Grassi, dit-elle très vite, sentant bien qu’elle rougissait.
    M. Grassi était un célibataire mélancolique qui tenait une boucherie sur le campo San Giobbe. Elle lui achetait la viande du dimanche, quand ils pouvaient se le permettre – soit chez lui, soit dans une boucherie en face de la gare car, avec une demi-douzaine d’autres femmes, elle était chargée de nettoyer les trains de nuit.
    M. Zulani s’accorda encore une généreuse rasade, puis expira au-dessus de la table un nuage dont l’odeur rappelait un œuf mollet ayant séjourné dans une mare de boue pendant une semaine. Il observa sa femme avec méfiance.
    — Cher ?
    Elle secoua la tête.
    — Une demi-lire, dit-elle.
    Il balança le chef d’un air maussade.
    — Ce n’est pas donné.
    Ce commentaire manquait absolument de fondement puisque le foie, quoique d’origine incertaine, était assez gros et – pour autant qu’elle pût en juger – de qualité très satisfaisante. En réalité, il ne lui avait pas coûté un seul centesimo , raison pour laquelle elle n’avait rien mangé.
    Mme Zulani avait trouvé cette viande la veille dans le train de nuit en provenance de Vérone. Oui, trouvé. L’organe était posé sur un Giornale di Verona , lui-même étalé sur une confortable banquette dans une voiture de première classe. Ce n’était pas franchement le genre d’article qu’une femme de ménage sous-payée aimait à rapporter chez elle, pas un porte-monnaie oublié, un mouchoir brodé ou un bijou tombé, mais enfin, ça se mangeait. C’était de toute évidence un foie frais, peut-être acheté dans une boucherie réputée de Vérone, qui avait dû finir par gêner. Plutôt que de le jeter par la fenêtre, le voyageur, mû par un réflexe charitable, l’avait laissé à l’intention du personnel d’entretien. Dans l’espoir justifié qu’on l’emporterait chez soi et – bon appétit – qu’on le cuisinerait sans attendre.
    Ce qu’elle s’était d’ailleurs empressée de faire. Cela étant, le nettoyage avait duré plus longtemps que d’habitude, car le foie avait un peu saigné, ce qui l’avait obligée non seulement à changer d’eau trois fois, mais aussi à brosser et à récurer avec force pour que le compartiment eût de nouveau l’air propre. À bien y réfléchir, on ne pouvait vraiment pas dire qu’elle avait eu ce foie pour rien, et il ne faisait aucun doute qu’elle aurait préféré une jolie bague.
    En même temps, elle se demandait si les choses s’étaient effectivement passées ainsi. Ce foie provenait-il bien d’une boucherie de Vérone ? Elle n’en était pas tout à fait sûre, bien qu’elle ne vît guère d’autre possibilité. Un je-ne-sais-quoi de mauvais planait dans l’air du compartiment. En frottant le sol, Mme Zulani avait eu à plusieurs reprises le sentiment absurde que quelque chose d’affreusement dégoûtant lui effleurait les épaules et la gorge. Chaque fois, elle s’était retournée avec effroi, mais n’avait rien vu, sinon son seau et le sac en tissu contenant le foie.
    Mme Zulani ferma les paupières, car on pouvait difficilement imaginer un spectacle plus répugnant que la vue de son mari en train de se goinfrer. Alors, elle décida d’oublier à jamais toute cette affaire.

6
    À la locanda 1 Zanetto , on ne servait pas le café – noir comme le péché et d’une saveur étonnante – dans des tasses, mais dans des timbales cabossées comme celles qu’on utilisait dans les séminaires ou les écoles militaires. Cela étant, il semblait le seul ici à boire du café. La plupart des clients tenaient un verre de vin ou de bière à la main. Quelques dames très fardées sirotaient du champagne dans des flûtes au pied allongé. Selon toute vraisemblance, pensa-t-il, il
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