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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto
Autoren: Nicolas Remin
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si on venait à découvrir qu’elle avait pris le train.
    Le plus gênant avait été le sang dans le compartiment. Une fois la fête finie, il baignait littéralement dans une mare. Quelques gouttes tachaient même le miroir au-dessus des sièges ; le velours aussi en était maculé. Le contrôleur, prêt à supporter tous les ennuis que cela impliquait, avait-il appelé la police en découvrant une telle porcherie ? Cela paraissait peu probable. Il avait plus sûrement ordonné de nettoyer les lieux à fond en attendant que l’affaire retombe. Restait à savoir comment le personnel d’entretien avait réagi devant cet organe oublié sur une banquette. L’avait-on jeté ? Ou au contraire mangé ? Préparé à la vénitienne ? Avec un peu de riz et l’inévitable sauge ? Les femmes chargées de nettoyer les wagons, pensa-t-il, n’étaient pas riches. Elles ne devaient pas faire la fine bouche quand elles tombaient sur un morceau de choix.
    Non, vraiment, il n’avait pas imaginé que son voyage à Venise prendrait cette tournure étonnante. Il l’avait remarquée sur le quai de la gare à Vérone : une jeune femme blonde et mince qui avait grimpé dans le wagon derrière lui. Leurs regards s’étaient croisés, et dès lors, le souvenir de ses yeux légèrement louches ne l’avait plus quitté. Lorsque le train s’était ébranlé poussivement, il s’était demandé de quelle couleur ils pouvaient être. Passé Vicence, il avait compris qu’il ne lui importait pas simplement de connaître la couleur de ses yeux. Et qu’il était trop tard pour résister. Il avait donc ouvert sa valise, en avait sorti son rasoir et, à Fusine, était monté dans son compartiment. Comme il put alors le constater, elle avait les yeux verts, vert clair, comme les feuilles au printemps.
    Naturellement, il ne savait que trop bien qu’une bête restait à l’affût au fond de lui, un animal sauvage qui n’attendait qu’une occasion pour planter ses crocs acérés dans de la chair tendre. Cette bête au fond de lui dormait beaucoup ; il lui arrivait de l’oublier pendant des mois. Parfois, il se disait qu’elle était peut-être plongée dans une sorte d’hibernation ou même qu’elle s’était endormie à jamais. Jusqu’au jour où elle se réveillait et commençait à lui ronger l’esprit . Lequel fonctionnait à la perfection quand le fauve sortait de sa tanière et se déchaînait. Jusqu’alors, son esprit s’était toujours arrangé pour lui éviter de se faire prendre. On ne pouvait pas vraiment qualifier ses actes occasionnels de raisonnables ; cependant, quand il y cédait, c’était sous le parfait contrôle de son esprit .
    Quelques mois plus tôt, il était tombé par hasard sur un livre traitant de la Grèce antique. Au début, l’ouvrage l’avait ennuyé, puis il l’avait dévoré avec une fascination croissante. L’auteur, un professeur de Bâle, affirmait que les Grecs nous avaient menés par le bout du nez avec leur douce ingénuité et leur noble grandeur. C’était du chiqué ! Derrière la façade léchée de leurs temples, prétendait-il, ils organisaient de sanglantes bacchanales où ils s’adonnaient aux plaisirs de l’ivresse ainsi qu’à la luxure. Cette lecture avait été pour lui une révélation. En vérité, nous étions tous des Grecs de l’Antiquité. Derrière notre façade, derrière le fronton de nos temples en marbre blanc, nous tuions et copulions jusqu’à plus soif. Les uns un peu plus, les autres un peu moins.
    Lui à coup sûr un peu plus. Car il ne faisait aucun doute qu’il était fou.
    Et la ville où il venait de s’installer l’avait rendu un peu plus fou encore. Cela tenait-il aux vapeurs de débauche carnavalesque qui l’avaient assailli dès son arrivée à la gare ? Aux femmes outrageusement fardées qu’on croisait à chaque coin de rue ? Ou était-ce la rencontre sur le quai de Vérone qui avait de nouveau lâché la bride au fauve ? Étrange, pensa-t-il. Comment se faisait-il qu’il déteste et aime à la fois la bête au fond de lui ? Qu’il craigne ses assauts et, en même temps, les ressente comme une libération ? Qu’il soit prêt, non, plutôt qu’il aspire à lui procurer ce qu’elle réclamait ?
    Quoi qu’il en soit, sitôt débarqué à Venise, il était reparti en campagne. Et pour un chasseur à l’affût, la locanda Zanetto constituait un terrain idéal, grouillant de petites créatures appétissantes qui ne
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