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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto
Autoren: Nicolas Remin
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désappointée, ce qui lui laissa le loisir d’examiner les gondoles arrêtées devant l’établissement. La plupart étaient recouvertes de felzi , des espèces de tentes en tissu noir qui protégeaient du soleil en été et du froid en hiver. Une petite lampe à huile brillait dans chacune de ces cabines tandis qu’une chaufferette rougeoyait sur le plancher de l’embarcation. L’accoudoir entre les sièges avait été enlevé de sorte que les deux fauteuils formaient une banquette rembourrée sur laquelle toutes sortes d’activités semblaient possibles.
    Alors qu’il faisait demi-tour, il sut tout à coup comment il s’y prendrait le lendemain. Il pourrait s’épargner l’hôtel. Une banquette rembourrée sur laquelle toutes sortes d’activités semblaient possibles . Quelques cris stridents ne gêneraient pas le gondolier.
    La bête au fond de lui fit entendre un ricanement baveux. En temps normal, il veillait à ne rien laisser transparaître de ces états d’exaltation. Cette fois cependant, il s’autorisa une petite exception. Lorsqu’il revint dans la salle, il rayonnait.
    1 - « L’auberge. » ( N.d.T. )

    2 - Masque typique du carnaval de Venise. ( N.d.T. )

    3 - Les mots en italique suivis d’un astérisque sont en français dans le texte. ( N.d.T. )

7
    Jean-Baptiste von Spaur, commandant de police et grand amateur d’abats, leva les yeux de son foie à la vénitienne et annonça sur un ton solennel :
    — Les nouveaux chiffres de Graz, Salzbourg et Trieste sont arrivés aujourd’hui.
    Comme d’habitude à l’époque du carnaval, le restaurant du Danieli était bondé pour le déjeuner. Tron voyait un mélange d’Anglais, de Français et d’Allemands, avec le lot habituel d’officiers de Sa Majesté qui, au grand dam de la direction, descendaient dans cet hôtel grâce à leurs cartes d’hébergement. Trois d’entre eux, deux capitaines de hussards hongrois et un sous-lieutenant de dragons de Linz, étaient assis à la table voisine. Dans leurs uniformes multicolores à galons dorés, ils lui faisaient l’effet de saltimbanques, de dompteurs de chevaux chantants et de phoques dansants.
    — Et alors ? demanda-t-il.
    — Venise figure en tête, déclara Spaur d’un air satisfait. Nous avons même de la marge.
    — Que voulez-vous dire par là ?
    — Que nous avons deux points d’avance. Et que nous avons pour ainsi dire gagné. Nous pourrions encore encaisser un meurtre ; à deux, nous devrions partager la première place avec Graz.
    Spaur s’essuya la bouche et but une gorgée de bardolino.
    — Cependant, je reste confiant. L’évaluation s’arrête à la fin du mois, et chez nous, le carnaval est toujours paisible.
    Le carnaval, toujours paisible ? Pas dans le souvenir de Tron. Le commissaire jugea cependant préférable de ne pas contredire son supérieur.
    — Donc, plus rien ne s’oppose à une distinction, supposa-t-il.
    — Vous pouvez d’ores et déjà me féliciter, confirma Spaur. De même que vous d’ailleurs, ajouta-t-il. Une part de ce succès vous revient, ne l’oublions pas.
    Il se pencha au-dessus de la table avec un sourire.
    — Cela vous plaît ? Les talents culinaires de M. Dupont vous comblent-ils ?
    Tron, pour sa part, n’était pas un amateur d’abats. Pourtant, il devait reconnaître que ce foie à la vénitienne surpassait les tripes de toutes sortes que Spaur lui avait déjà infligées. Le foie dans son assiette était tendre, mais il ne manquait pas d’une certaine fermeté. Et il possédait ce petit goût subtil dont les grands cuisiniers français avaient le secret. Cela ne faisait aucun doute, le nouveau chef  * du Danieli , originaire de Lyon, était à la hauteur de la réputation qui l’avait précédé. Tron leva son verre.
    — C’est excellent, baron. Permettez-moi de boire à votre santé !
    Un sourire de contentement se dessina sur le visage rougeaud de son supérieur qui s’exclama :
    — Au commandant de police de l’année !
    Il but une nouvelle gorgée de bardolino et fixa le commissaire.
    — Saviez-vous qu’il s’agit d’une initiative personnelle de l’empereur ?
    Tron fit non de la tête.
    — François-Joseph estime que le nombre de crimes permet d’évaluer de façon rigoureuse l’efficacité de la police. Quand les gens savent qu’ils seront pris, ils se retiennent.
    Son subalterne l’approuva.
    — De sorte que les délits graves se font de plus en plus rares. C’est
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