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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto
Autoren: Nicolas Remin
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s’agissait d’un mauvais mousseux transvasé dans des bouteilles à champagne, ce qui n’avait assurément pas empêché ces messieurs de débourser une fortune pour cette boisson frelatée.
    Il en était déjà à son sixième café et commençait à en ressentir les effets. Son besoin d’action se réveillait. La consommation de bière ou de vin lui embuait l’esprit, raison pour laquelle, en dehors d’une coupe de champagne de temps à autre, il évitait l’alcool depuis des années. En revanche, le café l’inspirait. Il avait l’impression qu’à chaque tasse son esprit devenait plus clair et plus aiguisé. Aussi aiguisé que le rasoir dans la poche de sa redingote, songea-t-il.
    Il se détourna du comptoir et regarda autour de lui. La locanda Zanetto , qui passait pour le plus grand bal de Cannaregio, était pleine, sans être bondée. Elle se composait d’une immense salle en L avec l’orchestre à une extrémité. En face se trouvait un comptoir où l’on pouvait acheter des mets froids et des boissons. La piste de danse occupait la majeure partie de l’espace. Des tables sans nappe étaient alignées le long des murs, on s’asseyait sur des chaises Thonet toutes simples. Les clients aussi avaient l’air très simples, des artisans et des étrangers sortis de leurs hôtels à bas prix, à la recherche d’une aventure d’un soir. Ils consommaient de la bière et du vin, piochaient des olives fourrées dans des coupelles disposées sur les tables et passaient en revue les dames qui déambulaient, seules ou en petits groupes.
    Rares étaient ceux à s’être donné la peine de dénicher un costume. Ils avaient juste épinglé sur leurs redingotes des insignes humoristiques en papier multicolore ; certains avaient mis des petits chapeaux de carnaval. Lui-même portait un tricorne en carton recouvert de tissu, acheté à l’entrée pour cinquante centesimi , et une bautta 2 , qui recouvrait ses yeux et une partie de son front. Sa bouche et son menton restaient visibles, mais comme ni l’un ni l’autre ne présentaient chez lui de caractère marquant ou prononcé, il était peu probable qu’on se souvienne plus tard de lui et, encore moins, qu’on soit en mesure de fournir une description valable.
    Bien entendu, le bal masqué dont parlait l’affiche à l’entrée n’était pas une fête élégante dans le style du XVIII e  siècle, mais un simple prétexte à de brèves rencontres. Il y avait fort à parier que la locanda Zanetto était environnée d’hôtels de passe peu coûteux.
    Aussitôt que la musique se fit entendre, la piste se remplit. Il posa la tasse vide sur le comptoir et reprit sa promenade. Non seulement il suait sous son masque, mais en plus un coup d’œil dans le miroir lui avait confirmé que son tricorne lui donnait l’air particulièrement ridicule. Néanmoins, il ne commettrait pas l’erreur de les ôter, ne serait-ce qu’un instant. Il s’enfonça plus avant dans la foule, au mépris de l’étouffant nuage de fumée de cigarette, de relents de bière et de mauvais parfums qui planait dans la locanda .
    Il était maintenant minuit passé, et il n’avait toujours pas trouvé de femme dont la silhouette et la mine soient à son goût. Au cours du dernier intermède, une brunette bien en chair lui avait adressé un clin d’œil ; elle était debout au pied de l’estrade réservée à l’orchestre, un verre de vin à la main. Son décolleté avait retenu son attention un instant, mais il avait finalement détourné la tête et s’était éloigné. Il n’aimait pas les brunettes bien en chair. Il savait exactement ce qu’il voulait. Il attendrait. Ce n’était qu’une question de temps.
    Il regrettait d’avoir dû improviser, la veille, mais il n’avait pas eu le choix. À bien y réfléchir, il pouvait même être fier de lui, car il avait gardé son sang-froid jusque dans le feu de l’action. Bien qu’il n’eût plus ouvert de ventre depuis longtemps, il avait pratiqué l’entaille d’un geste presque de routine. Ensuite, grâce à quelques incisions exécutées d’une main de maître, il avait ôté la vie et avait encore réussi à se débarrasser du corps avant l’entrée du  train en gare. Avait-on déjà retrouvé le cadavre ? Le cadavre incomplet ? Ballotté par les vagues jusqu’aux rives de la fondamenta Nuove ? Tout près d’ici ? En tout cas, on n’établirait jamais de lien entre lui et la disparition de la jeune femme,
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