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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto
Autoren: Nicolas Remin
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colonel de l’armée impériale ?
    Tron tendit résolument l’index vers le reste de chantilly à la surface de son assiette.
    — Nous y réfléchirons le moment venu.
    1 - Nom d’un personnage de L’Homme sans qualités de Robert Musil. ( N.d.T. )

4
    Alessandro, le vieux majordome en livrée, dont le père déjà servait les Tron, posa avec précaution l’assiette fumante devant la comtesse et fit un pas en arrière. La mère du commissaire le remercia d’un petit hochement de la tête. Elle s’empara de sa cuillère, la plongea dans la soupe et jeta un regard méfiant de l’autre côté de la table.
    Tron savait ce qu’on attendait de lui. Il plongea à son tour sa cuillère dans le liquide marron-gris à l’odeur aigrelette et dit avec un sourire, en détachant chaque syllabe :
    — Dé-li-cieux !
    Une expression de satisfaction apparut aussitôt sur le visage de sa mère.
    — Ça ne se sent donc pas ! Alessandro prétendait que la soupe de poisson réchauffée est immangeable.
    Eh bien, bon appétit ! Tron prit une profonde inspiration et se pencha au-dessus de son assiette avec stoïcisme.
    En tout état de cause, la soupe aigrelette s’accordait à merveille avec les rosette . Les petits pains, durs comme de la pierre, étaient posés comme il se doit dans une corbeille argentée aux poignées en ivoire. De même, Alessandro servit la fricassée de poulet verdâtre qui faisait ce soir-là office de plat principal dans un plat en argent aux armes des Tron. De façon générale, la salle à manger, qu’on appelait la salle aux tapisseries en raison des tentures accrochées à l’un des murs, conservait encore un peu de l’éclat dans lequel le palais baignait autrefois. Des rideaux en brocart broché d’or pendaient de chaque côté des deux fenêtres closes qui donnaient sur le Grand Canal. Une console dont l’énorme plateau de marbre reposait sur des dauphins dorés s’appuyait contre le mur opposé, presque tout entier recouvert de portraits d’ancêtres illustres : un doge, trois amiraux et deux procureurs de Saint-Marc. Tout cela remontait, hélas, à fort longtemps ; des rectangles de couleur claire attestaient que les Tron avaient déjà dû se séparer de quelques-uns de leurs tableaux.
    Le commissaire releva le col de sa redingote et se cala sur sa chaise. Il frissonnait, ce qui n’avait rien d’étonnant, compte tenu de la température ambiante. Par souci d’économie, la comtesse n’utilisait pas le poêle en faïence, qui datait du siècle précédent, mais de petites chaufferettes portables remplies de braises. La plupart du temps, ces scaldini dégageaient une fumée atroce, car Alessandro avait reçu l’ordre catégorique de n’acheter que du charbon de Dalmatie, bien meilleur marché que celui du Frioul.
    — Ainsi, Julien est arrivé hier, dit la comtesse.
    Elle déposa quelques cuillerées de fricassée sur son assiette et fit mine de ne pas remarquer le filet de fumée qui s’élevait près de sa chaise.
    Tron leva les yeux. Pour une femme de plus de soixante-dix ans, sa mère gardait une prestance remarquable. Sa mince silhouette et ses cheveux bouclés la rajeunissaient d’au moins dix ans.
    — Qui ? Je ne connais pas de Julien.
    La comtesse fronça les sourcils.
    — Elle ne t’en a pas parlé ?
    — Si tu penses à Maria, non. J’entends ce nom pour la première fois.
    — Cela m’étonne.
    La maîtresse de maison avala une bouchée de poulet.
    — Mais de quoi parlez-vous donc ?
    — Pas de ce Julien, en tout cas.
    — Il est arrivé hier soir, par le train de Vérone, précisa la comtesse. La princesse n’a pas encore eu le temps de le rencontrer. Ce jeune homme semble fort occupé.
    — Aurais-tu la gentillesse de m’expliquer de qui il s’agit ?
    — De Julien Sorelli, son neveu. Si j’ai bien compris, ils ont entretenu une correspondance d’une extrême intensité.
    Elle piocha un petit morceau de viande du bout de sa fourchette.
    — Étonnant qu’elle ne t’ait jamais parlé de lui.
    — J’ignorais totalement qu’elle avait un neveu.
    — En fait, c’est celui de son mari, feu le prince de Montalcino. Sa sœur a épousé un Italien à Paris.
    — M. Sorelli, je suppose.
    — Exact. Ce Julien est leur fils.
    — Que vient-il faire à Venise ?
    La comtesse regarda son vis-à-vis avec un air entendu.
    — C’est le nouveau secrétaire privé du comte de Chambord.
    Tron écarquilla les yeux. Henri de Bourbon,
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