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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto
Autoren: Nicolas Remin
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prie ! » ( N.d.T. )

    2 - « Priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. » ( N.d.T. )

3
    Alvise Tron, commissaire du secteur de Saint-Marc, repoussa au centre de son bureau l’assiette où des traces de chantilly se mêlaient à des miettes de tarte et lécha avec soin sa fourchette à gâteau. Ensuite, il but une gorgée de café, se cala dans son fauteuil grinçant et s’étonna lui-même. Avait-il vraiment maîtrisé l’homme dans le poste de garde de trois puissants coups de pied ? Lui ? Lui qui préférait d’ordinaire des paroles aiguisées comme un fleuret ou une fourchette à gâteau ? Avait-il perdu le contrôle de lui-même ? La bête sauvage qui se tapit, paraît-il, en chacun de nous avait-elle pris le dessus ?
    Il se pencha de nouveau au-dessus de son bureau et humidifia le bout de son index pour ramasser les dernières miettes. Il but une autre gorgée de café et en arriva à la conclusion qu’il avait simplement accompli ses bonnes résolutions, à savoir donner une leçon à ses délateurs et, en particulier, au commandant de place Toggenburg qui déplorait chez lui un manque de « fermeté dans l’exercice de ses fonctions ». On lui reprochait de passer trop de temps dans les cafés de la place Saint-Marc où, tous les matins, il allait manger des pâtisseries au lieu de s’occuper de la criminalité vénitienne au commissariat central. Quelle bêtise ! Il faisait, en fin de compte, partie de ses devoirs de s’enquérir de l’humeur du peuple. Et où pouvait-on mesurer l’humeur du peuple mieux que dans les cafés de la place Saint-Marc ?
    Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, il pouvait être fier de lui. Il avait retiré de la circulation ce fou dont les intentions criminelles ne faisaient aucun doute. En outre, poursuivit-il en pensée, le fait que sa botte eût défoncé le nez d’un Autrichien conférait à son geste une note patriotique. Un talon italien sur un nez autrichien ! Et en plus le nez autrichien avait saigné ! Pas étonnant que les gens aient autant applaudi.
    Tron n’éprouvait certes aucun sentiment patriotique. Parmi les partisans de l’unité italienne, il avait même la réputation d’un dangereux régionaliste. Cependant, il était peut-être habile de songer de temps en temps à l’après. Les Autrichiens ne pourraient pas occuper la Vénétie éternellement. Et un commissaire qui avait collaboré de manière trop étroite avec les forces d’occupation aurait de mauvaises cartes dans son jeu le jour où la Vénétie rejoindrait le royaume d’Italie. On pourrait avoir l’idée de nommer un autre commissaire de Saint-Marc. Peut-être l’inspecteur Bossi ? Ce dynamique adepte des techniques d’investigation modernes  ! qui ne cachait pas son impatience de voir enfin les Autrichiens se retirer.
    Tron tourna la tête. Son regard tomba sur le portrait de François-Joseph, accroché au mur, comme dans tous les bureaux administratifs dans l’empire des Habsbourg. Son front déjà bien dégarni et l’expression obtuse de son visage ne lui donnaient pas une allure particulièrement majestueuse. La lithographie était de travers et le verre fêlé. Pourtant, dans un sens, Tron s’y était habitué.
     
    Cinq minutes plus tard, l’inspecteur Bossi pénétra dans son bureau. Il salua et prit place sur la chaise Thonet en face de lui. Comme toujours, on aurait dit qu’il sortait du bain et venait de procéder à une toilette minutieuse. Ses bottes noires reluisaient, pas un grain de poussière ne déparait son uniforme bleu et les étoiles sur ses épaulettes brillaient de tous leurs feux. Il tenait son carnet à la main.
    — Par mesure de précaution, nous les avons enfermés dans deux cellules différentes, expliqua-t-il.
    Il s’était assis de manière à ne pas froisser son uniforme repassé avec un soin maniaque.
    — L’Autrichien s’est montré doux comme un agneau.
    — Et son nez ?
    — Rouge et gonflé, mais pas cassé. Il a refusé de voir un médecin.
    Tron repoussa son assiette à dessert.
    — Que s’est-il passé exactement ?
    — Ces deux messieurs se sont pris le bec place Saint-Marc, la querelle a dégénéré. Deux sergents les ont donc arrêtés et emmenés au commissariat central.
    — Pour quelle raison se disputaient-ils ?
    — M. Grassi a passé une cocarde tricolore à sa boutonnière. Juste devant le Quadri .
    Tron ne put s’empêcher de rire. Le Quadri était surtout
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