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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto
Autoren: Nicolas Remin
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à une interprétation philosophique puisque, une fois réunies, les deux moitiés constituaient une sphère, c’est-à-dire, selon Aristote, la perfection absolue. Quel peintre déjà, se demanda Tron, était réputé pour savoir dessiner un cercle parfait à main levée ? N’était-ce pas Giotto ? Ou Raphaël ? Une autre question, non moins importante, lui traversa encore l’esprit : y avait-il d’autres hémisphères du même genre à la cuisine ?
    Au mépris total des bonnes manières, Tron s’était rué sur le dessert dès le début du repas tout en s’efforçant de résumer de façon un tant soit peu sensée les événements survenus depuis la veille. Une journée épuisante, passée à courir entre le commissariat, l’hôpital militaire et la Kommandantur, lui faisait perdre de temps à autre le fil de son récit. La princesse le remettait cependant chaque fois sur les rails en posant des questions précises dans son italien de Florence qu’il admirait en secret et qui le rendait en même temps nerveux. Distrait par les hémisphères érotico-philosophiques, il venait d’ailleurs, semblait-il, d’en manquer une.
    — Je voulais savoir comment il va, répéta sa fiancée avec un sourire indulgent.
    Ah oui, le colonel ! C’était sans doute de lui qu’elle voulait parler. À l’évidence, il n’avait pas été assez clair à ce sujet.
    — Compte tenu des circonstances, il ne va pas mal.
    Tron glissa la deuxième cerise dans sa bouche ; son articulation en pâtit.
    — Il a perdu beaucoup de sang. Un peu plus, et la lame atteignait son cœur. L’un de ses poumons est touché. Néanmoins, il prétend avoir connu pire. Il s’est battu à Solferino.
    — Sa vie n’est donc pas en danger ?
    — Non, il pense pouvoir sortir dans une semaine.
    Le commissaire se pencha au-dessus de la table et aperçut un instant son reflet, certes déformé, mais tout à fait reconnaissable, dans le couvercle en argent recouvrant le plat principal, des cailles rôties * une fois de plus. Le matin même, on avait remplacé son gros bandage par un simple pansement. Cela lui ôtait une bonne part de l’allure héroïque qu’il avait encore la veille, pendant le bal. Il se trouvait maintenant l’air d’un maladroit qui se serait cogné la tête contre une porte de placard.
    Les travaux de déblaiement , pour reprendre les termes de la comtesse, avaient duré jusque tard dans la nuit. La faute en revenait surtout à la police militaire qui avait surgi à l’improviste et insisté pour prendre sur-le-champ la direction des opérations. Il s’était ensuivi une violente joute oratoire entre trois lieutenants et le commandant de police qui ne voyait absolument pas en quoi ses yeux à la Cléopâtre et ses joues écarlates remettaient en cause son autorité. Spaur ne plaisantait pas du tout.
    Et les invités ? Comment avaient-ils réagi à la brusque interruption du bal ? Le commissaire n’avait pas l’impression qu’ils aient été déçus par la soirée, au contraire. Le drame qui s’était joué sous leurs yeux n’aurait pu être plus excitant. Ils ignoraient bien entendu que le héros de la pièce avait simplement eu de la chance. Tron s’était gardé de leur révéler qu’il avait tiré les yeux fermés. Bossi s’en doutait-il ? Non, sûrement pas. Tout s’était passé si vite. Et tout était déjà fini quand les spectateurs avaient compris ce à quoi ils venaient d’assister.
    Quelques minutes après le coup de feu, le commissaire était monté sur l’estrade pour annoncer la fin du bal. Alors les applaudissements s’étaient déchaînés. Les dames lui avaient jeté leurs petits bouquets de fleurs et il avait été obligé de saluer à plusieurs reprises, comme un acteur du Malibran après une première triomphale. Pour terminer, il avait dû rappeler les musiciens et convier le chef d’orchestre à interpréter le Requiem de Scarlatti au son duquel les invités avaient quitté la salle à pas lents. Cette conclusion lui semblait appropriée aux circonstances. En tout cas, le bal masqué de la comtesse Tron demeurerait une fois de plus gravé dans les mémoires comme le point culminant du carnaval.
    — Et le comte de Chambord ? voulait maintenant savoir Maria. Comment va-t-il ?
    — Il garde lui aussi la chambre, mais ses jours ne sont pas en danger non plus. Par ailleurs, ajouta le commissaire, il m’a confirmé qu’il avait envoyé le père Francesco à Vérone dimanche il
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