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Nice

Nice

Titel: Nice
Autoren: Max Gallo
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lui qui venait du brouillard et du gris.
    Peut-être s’endormit-il, assis, appuyé sur les coudes,
rêva-t-il, ou bien c’était le visage de l’une de ces femmes qui lui faisait se
souvenir, la mère penchée sur le lit, étendant au-dessus d’une couverture noire
une dentelle blanche, celle qui restait pliée dans l’armoire, celle qu’une
vieille grand-mère, de qui ? qui était morte ? quand ? avait
brodée, assise, silencieuse dans un coin pour se faire oublier, et la mère
étendait la dentelle blanche, des roses de fil, leurs pétales pris dans la
trame d’une toile d’araignée. La mère lissait la dentelle sur la couverture
noire. Et les hommes en costume de velours, leur casquette enfoncée dans les
poches de la veste, avaient posé précautionneusement le corps du père. Puis ils
étaient restés debout les uns contre les autres dans la cuisine, leurs mains
aux doigts crevassés pendant le long du corps, et l’un d’eux avait pris
Vincente contre lui, cette main se posant sur le cou de l’enfant, chaude et
rugueuse, caressant les joues, les cheveux, et Vincente s’était appuyé à cet
homme de velours, osant regarder par la porte ouverte, sur le lit, posé sur la
dentelle blanche, le corps du père, qu’un tronc roulant sur une pente, bondissant
de ressaut en ressaut, avait frappé, couché parmi les arbres abattus. Et les
mains qui avaient levé la hache, les mains de bois dur et d’acier, étaient
prises, poissons morts entre les mailles.
    Il y eut un appel, un autre qui semblait un écho roulant à
ras des vagues, Vincente sursauta. Les barques étaient à une centaine de
mètres, un homme debout à leur proue ; les femmes s’avançaient dans l’eau
tenant leur jupe d’une main ; des hommes souvent vieux disposaient sur la
grève des rondins de bois usé. Quand l’amarre eut été jetée, que des pêcheurs
sautant dans l’eau eurent commencé de tirer les barques, Vincente se joignit à
eux, scandant avec eux les « oh issa » qui, peu à peu, faisaient
surgir, blanche et bleue, la coque ventrue des embarcations. Chaque barque une
fois immobilisée attirait les silhouettes noires des femmes et des vieux
penchés sur les filets brillants d’eau et de vie ; ils semblaient avides,
impossibles à éloigner ; écartés un instant par les pêcheurs, d’un geste,
d’une exclamation, ils s’agglutinaient à nouveau, leurs mains, leurs yeux pour
prendre, se rassurer.
    Vincente restait un peu en retrait, sa musette déjà sur
l’épaule, hésitant à partir pourtant. Une femme s’approcha, un paquet de papier
gris, grossier, tendu vers lui.
    — Tiens.
    Il ouvrit les mains, la femme posait brutalement le paquet
dans ses paumes et avant même qu’il eût pu la remercier, elle était à nouveau
une silhouette penchée sur la barque avec les autres. Et Vincente regardait les
trois poissons aux écailles roses qu’elle lui avait donnés, et dont les ouïes
ouvertes étaient des plaies profondes.
    Alors Vincente s’éloigna, longeant le bord de la mer, de
cette baie si largement échancrée. Il marchait vite, enfonçant ses talons dans
les graviers humides qui marquent la limite du ressac. Il faisait souvent un
écart, sautant de côté pour éviter une vague plus longue mais délibérément, à
deux ou trois reprises, il laissa l’écume recouvrir ses souliers. Écume blanche
comme les flocons de laine de cette belle couverture dont la mère avait
enveloppé Luigi, le jour du baptême, dans l’église de Mondovi-la-haute. Et ce
premier matin dans Nice était jour de baptême.
    Sur la longue plage qu’il parcourut, Vincente ne rencontra
qu’un autre groupe de femmes. Elles attendaient les pêcheurs dont les
embarcations étaient encore éloignées mais dont les voix semblaient proches,
glissant au-dessus de la mer, portées par les vagues. Puis la plage
s’interrompait, laissant place à une zone de sable gris, de roseaux, à une eau
qui paraissait stagnante, et que rasaient des mouettes lourdes qui tout à coup
avec des cris aigus s’élançaient en un vol étoilé vers le large. Un homme était
là, seul, assis sur des rochers bas, peut-être des blocs fragmentés. De temps à
autre, il se levait et lançait d’un geste nerveux un long fil qui se déroulait
dans sa main comme un lasso. Au bout, Vincente qui s’était approché, vit un
hameçon aux quatre crocs enveloppés d’un chiffon rouge. L’homme s’asseyait
après avoir lancé et tirait lentement, sans
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